MOURIR PEUT ATTENDRE (Critique)

MOURIR PEUT ATTENDRE qui arrive sur nos écrans six ans après 007 SPECTRE (égalant le délai entre Permis de Tuer et Goldeneye) est le chant du cygne de Daniel Craig dans le rôle et sans doute l’opus de la vénérable série à avoir eu le chemin le plus mouvementé depuis Goldeneye. En août 2018 Danny Boyle (Trainspotting, Steve Jobs) qui devait initialement réaliser le film, quitte le projet pour différends artistiques, il est promptement remplacé en septembre de la même par Cary Joji Fukunaga (True Detective) pour une sortie prévue en février 2020. Pourtant ce n’est que le début des problèmes, le scénario est remanié plusieurs fois par Paul Haggis (Crash , Casino Royale), Scott Z.Burns (Contagion) puis (à la demande de Craig) par  Phoebe Waller-Bridge, (Killing Eve, Fleabag). En mai 2019 la production est suspendue lorsque Craig subit une grave blessure à la cheville lors du tournage d’une scène d’action qui nécessite une intervention chirurgicale puis qu’une explosion contrôlée blesse gravement un membre de l’équipe. Le tournage arrive à son terme et le film est prêt à sortir quand le plan marketing se fracasse sur les vagues de la pandémie de COVID-19 qui oblige la MGM à décaler par deux fois sa sortie. Alors qu’elle  arrive enfin sur nos écrans cette dernière mission de Daniel Craig sous le matricule 007 est elle à la hauteur des attentes ? Mourir peut attendre reprend peu après le précédent avec un Bond qui, après la capture de Blofeld (Christoph Waltz) a quitté le service secret de sa majesté pour couler des jours heureux auprès de Madeleine Swann (Lea Seydoux). Si ils semblent en apparence  vivre la Dolce Vita leur relation est hantée par les secrets de Madeleine, fille d’un dignitaire du Spectre  et la suspicion de Bond nourrie par le souvenir de Vesper Lynd , son grand amour qui l’a trahi dans Casino Royale. Quand le couple est attaqué par un mystérieux escadron de la mort dans une des plus longues séquences pré-génériques de la saga, leur confiance vole en éclat et Bond se réfugie à la Jamaïque. C’est alors que son vieil ami, l’agent de la CIA Felix Leiter (Jeffrey Wright) le sort de sa retraite pour lui confier une mission, ramener un  scientifique russe enlevé à Londres et ayant réémergé à Cuba. Mais Bond n’est pas le seul sur la piste, M (Ralph Fiennes) y dépêche sa remplaçante dans la section 00 Nomi (Lashana Lynch) et dans l’ombre un nouvel adversaire redoutable Safin (Rami Malek) est à la manœuvre.

Casino Royale et le triomphe critique et public de Skyfall ont changé la perception et le statut de la franchise Bond qui, non content de devoir se mesurer en terme de spectacle aux films d’action de son époque se doit  désormais de répondre à une exigence dramatique et stylistique. S’ajoute ici la pression supplémentaire d’offrir à Daniel Craig une sortie prestigieuse dans le rôle pour faire oublier l’échec qualitatif (le film fut un succès commercial) de  SPECTRE. Pour ce faire Cary Joji Fukunaga et ses coscénaristes tentent de conjuguer la gravité et la profondeur psychologique de l’ère Craig tout en réintroduisant les éléments plus fantastiques  de la  » formule »  007 : vilain mégalomane  génocidaire, base secrète exotique, armes futuristes et punchlines. Mais l’humour et les gadgets ne sont guère miscibles dans le ton sombre d’un film imprégné par la mélancolie et le regret. Le retour à une légèreté pop est contradictoire avec la trajectoire de Bond vers un climax émotionnel  qui  rejette l’insouciance de la série. Ils essayent également  tout en développant leur propre intrigue et ses protagonistes, de relier tous les personnages et fils narratifs du film précédent comme pour en réparer les lacunes. Le poids de SPECTRE pèse comme un boulet sur Mourir peut attendre  et l’empêche d’exister par lui-même. Le plus gros problème de Mourir peut attendre  est qu’il est construit autour de la relation entre Bond et Madeleine, censée être  le grand amour de sa vie après Vesper, une romance qui apparait forcée d’autant plus que Craig et Seydoux n’ont  aucune chimie ensemble (sans parler d’une différence d’âge trop visible) alors que le récit présume qu’ils vivent une histoire d’amour épique qui vaut la peine de faire des sacrifices considérables même face à la fin  la fin du monde. Madeleine est la clé de voûte du film autour de laquelle le récit s’articule, mais même  si les scénaristes, Waller-Bridge en particulier, ont étoffé sa personnalité, elle reste un  personnage fade essentiellement utilitaire soit demoiselle en détresse soit moyen de pression contre 007. Cela fait d’elle un bien mauvais choix pour la lier aux développements majeurs que le film apporte au canon. Casino Royale a prouvé qu’il n’y a aucun problème à faire de Bond un personnage  romantique, émotionnel mais encore faut il poser des bases solides à ces relations pour qu’elles fonctionnent.

Autre personnage frustrant ,  le méchant Lyutsifer Safin incarné par Rami Malek,  qui est non seulement à peine présent à l’écran ce qui prive de tension sa confrontation finale avec Bond mais on a du mal à trouver une cohérence dans ses objectifs  : son désir d’éliminer le Spectre, de manipuler Madeleine et son projet de  détruire le monde avec des armes biologiques / nanotechnologies dont les détails restent confus. Tous ces éléments semblent surtout être des nécessités du script plus qu’une vraie construction d’un personnage. Sa personnalité est peu définie en dehors des costumes d’inspiration japonaise qu’il porte et de son visage brulé à la dioxine. C’est sans doute le vilain le plus médiocre de l’ère Craig juste derrière le Blofeld version Christoph Waltz qui fait une apparition ici dont la seule fonction semble être de nous  rappeler cette médiocrité. Sur bien des éléments Mourir peut attendre pâtit de la décision inexplicable de s’arrimer à SPECTRE. Les séquences se déroulant à  Cuba sont les plus réussies et laissent entrevoir le film qu’aurait pu être Mourir Peut Attendre libéré de ses contraintes. Le style de la mise en scène, l’action et l’écriture des personnage fusionnent parfaitement sous la forme de Paloma incarnée par Ana de Armas (déjà aux cotés de Daniel Craig dans A Couteaux Tirés) agent de la CIA avec seulement trois semaines de formation à son actif, une injection d’énergie et de comédie, une performance  si captivante qu’elle laisse un vide après la fin de ses scènes.

Après une longue séquence pré-générique très réussie, riche en poursuites en voiture et à moto, en  gadgets, explosions et fusillades qui culmine avec une séquence de tension extrême avec les vitres de l’Aston Martin de Bond proches de céder sous les impacts de balles avant que 007 fasse pleuvoir la mort autour de lui. Mourir peut Attendre  commet un des péchés capitaux pour un  film d’action en ne parvenant pas à mettre en scène une escalade de l’envergure de ses séquences à mesure que croissent les enjeux. Le raid d’une base scientifique secrète (qui rappelle l’esthétique de Skyfall) une poursuite dans une foret norvégienne et le final qui se déroule sur le fief insulaire de Safin – un territoire disputé entre le Japon et la Russie – sont esthétiquement plaisantes mais manquent d’impact et ne restent pas dans les mémoires.  La longue séquence d’intrusion  dans la base de Safin n’est guère plus qu’une succession de fusillades visuellement fade, en dehors d’une  magnifique scène en plan séquence dans une cage d’escalier exiguë – qui rappelle celle du fameux épisode 4 de True Detective . Cary Joji Fukunaga aspire clairement à faire de son film le Au Service Secret de Sa Majesté de Craig (au point qu’il en cite des lignes de dialogue et reprend la chanson de Louis Armstrong pour le film) explorant le côté romantique, émotionnel et plus humain de l’espion britannique. Seulement, cet aspect a été développé tout au long des derniers films. Mourir Peut Attendre  se dirige vers une conclusion qui se veut émotionnellement et symboliquement percutante, mais dont l’exécution manque de force en partie car on la voit venir de loin. C’est un des paradoxes du film qui avec une durée de 2h43 est le Bond le plus long : on ne s’y ennuie jamais grâce à l’aspect  feuilletonnant de son intrigue et ses nombreux personnages pourtant paradoxalement en dépit de cette durée certaines séquences semblent presque expédiées, en tout cas trop rapides pour avoir l’impact dramatique attendu.

Pour sa dernière prestation dans le rôle, Daniel Craig offre toutes les facettes de son Bond, derrière une façade granitique se cache un océan d’émotions, de doutes sur sa place  dans le monde, un homme qui a du mal à gérer le chagrin dans un univers où des amis meurent constamment et qui ne sait pas si il peut aimer ou être aimé. Pour ce dernier opus, même si il est affuté comme jamais,  si  il souligne les signes d’usure physique et émotionnelle du personnage, il  montre un Bond qui a conscience  que son apogée  est derrière lui  mais l’accepte. En dépit de ses remarques on ne le sent pas menacé par sa remplaçante. Comme son interprète le personnage semble regarder en arrière avant un dernier baroud d’honneur. Sa famille professionnelle a droit aussi à un dernier tour d’honneur : on découvre le foyer de Q avec ses chats sans poils, la Moneypenny jouée par Naomi Harris plus en retrait ici, est toujours un soutien solide. Et on apprécie les relations tendues mais respectueuses entre M, un Ralph Fiennes plus sévère que jamais et Bond. Le film lui donne un rôle plus ambigu qu’à l’accoutumée et cela sert leurs scènes ensemble. L’apport de Phoebe Waller-Bridge est visible dans les brefs moments d’humour du film et les punchlines que s’échangent Bond et ses alliés dont certaines pourraient venir du répertoire de Roger Moore. On imagine que  le traitement des personnages féminins lui-doit beaucoup . Celui  de Nomi (Lashanna Lynch) l’hyper-compétente  nouvelle 00, rappelant constamment à Bond qu’elle est un agent aussi rusé et efficace qu’il l’a jamais été ou l’exubérante Paloma qui sous ses airs d’ingénue cachent une redoutable agent, sont des personnages secondaires parfaitement définis et dont on a envie de découvrir plus encore. Visuellement le film est superbe, la photographie de Linus Sandgren (La La Land) peut être tour à tour crépusculaire ou riche en couleurs, il sublime les décors de Mark Tildesley (Phantom  thread) pour construire des visions presque fantastiques comme ces savants qui s’activent mystérieusement sous les arches de béton de la base de Safin ou l’étrange réunion du Spectre à Cuba. Hans Zimmer livre avec une partition entraînante qui capture l’adrénaline et l’émotion dans une égale mesure tout en trouvant le temps de glisser d’anciens anciens thèmes  Bondiens.

Conclusion : Mourir Peut Attendre qui mêle la veine dramatique des Craig à la « formule » 007, convoite la place particulière d’Au Service Secret de Sa Majesté, dans le panthéon de la saga mais en liant son destin  inexplicablement au mauvais SPECTRE, offrant une dernière mission certes satisfaisante à Daniel Craig, mais pas le grand film rêvé.

Ma Note : C+

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.