
Sauf pour une poignée de grincheux il est indéniable qu’avec John Wick, les réalisateurs David Leitch et Chad Stahelski, issus du monde des cascades, ont révolutionné la mise en scène de l’action dans le cinéma américain. Leur philosophie, qui privilégie de longues prises en plan large sans coupes intempestives, « shaky cam » ou ralentis abusifs, met en valeur les prouesses physiques des performeurs. Depuis, bien que les deux réalisateurs mènent des carrières solo sous la bannière de leur compagnie de production 87North Productions, ils restent associés. Stahelski poursuit la saga John Wick (un quatrième volet est prévu pour 2023), tandis que Leitch, avec le directeur de la photo français Jonathan Sela, enchaîne des projets de plus en plus ambitieux avec des grandes vedettes : Atomic Blonde avec Charlize Theron, Deadpool 2 pour Ryan Reynolds, et le premier spin-off de la saga Fast & Furious, Hobbs & Shaw. Bien que ses films conservent en partie sa philosophie de l’action, l’augmentation des budgets a rendu son style plus commercial et impersonnel, avec des effets visuels numériques envahissants qui diminuent l’impact de l’action et des scripts parfois décevants. Heureusement, Leitch reprend l’initiative avec Bullet Train, un « high-concept » explosif adapté d’un roman japonais de Kōtarō Isaka. Ce divertissement estival rapide, mortel et très drôle met en scène des tueurs d’élite enfermés dans un Shinkansen reliant Tokyo à Kyoto, découvrant peu à peu que leurs objectifs sont tous liés. Leitch bénéficie du soutien de Brad Pitt, une star dont il avait assuré la doublure sur de nombreux films, comme Fight Club, Troie ou Mr. & Mrs. Smith.

Bullet Train ressuscite avec bonheur les formules des années quatre-vingt-dix, lorsque l’émergence de Quentin Tarantino avec Pulp Fiction et ses gangsters cools et volubiles, conjuguée au succès de The Usual Suspects de Bryan Singer et son intrigue alambiquée, ont donné naissance à un véritable sous-genre d’imitateurs. Ce sous-genre comprend des films comme 2 Days in the Valley, Killing Zoe et l’excellent Things to Do in Denver When You’re Dead. David Leitch et son scénariste Zak Olkewicz (Fear Street – Partie 2: 1978) fusionnent tous les tropes de ces « néo-polars » post-Tarantino avec l’esthétique nippone de Kill Bill et les comics de Frank Miller, créant un néo-noir sous stéroïdes, dopé à l’action hyperkinétique de 87Eleven.Malgré son physique d’Apollon, Brad Pitt s’est souvent refusé à jouer le jeu du blockbuster à grand spectacle, préférant incarner des personnages de composition au service de réalisateurs pointus, un chemin qui l’a conduit à devenir un producteur reconnu avec sa compagnie Plan B. Même dans de grosses productions, il aime composer des personnages décalés et excentriques, comme dans la série des Ocean’s Eleven où il est quasiment toujours en train de manger à l’écran.Dans Bullet Train, Pitt incarne Ladybug (Coccinelle), un tueur à gages pathologiquement malchanceux qui sort d’un burn-out et reprend du service en remplacement d’un collègue malade. Son personnage est à la fois faillible, attachant, mais particulièrement létal. Après un an de thérapie, persuadé d’avoir atteint la plénitude, il dispense des conseils affreusement banals et irritants, ajoutant une touche d’humour à ce rôle complexe.
Pitt joue une variation d’un type de personnage qu’il connait par cœur et se repose sur son charisme et sa coolitude naturelle pour incarner cette fusion improbable de l’Inspecteur Clouseau et de John Wick.

Initialement développé par Antoine Fuqua (The Equalizer, Training Day), qui l’envisageait comme un pur film d’action brutal, le projet a évolué sous la direction de David Leitch, influencé par sa vedette, en une comédie d’action tout aussi violente et sanglante, mais extrêmement drôle. Leitch parvient à mêler organiquement et efficacement ces deux composantes. Malgré la présence de Brad Pitt, Bullet Train est un film choral, à l’image des « néo-noirs » qu’il émule. Il présente une galerie d’assassins et de criminels hauts en couleur, aux surnoms imagés, dont les intérêts s’entrecroisent et s’opposent dans un lieu confiné, engagés dans des jeux mortels pleins de trahisons et de coups de théâtre. La star de Fight Club est entourée de comédiens qui semblent s’amuser à donner vie à leurs personnages avec des traits saillants. Parmi eux, Aaron Taylor-Johnson (Kick-Ass, Tenet) et Brian Tyree Henry (Atlanta, Eternals) se distinguent comme les MVP du film. Ils incarnent un duo d’experts en « opérations spéciales », Mandarine et Citron, deux frères chargés de convoyer le fils d’une mystérieuse et légendaire figure du crime organisé japonais, « La Mort Blanche », ainsi que la mallette contenant sa rançon, convoitée par Coccinelle. Chacun avec ses bizarreries et opinions parfois stupides—Citron base ses jugements sur les personnages du dessin animé Thomas et ses amis, tandis que Mandarine, colosse en costume au fort accent londonien, est kleptomane—ils se comportent comme des frères, se chamaillant en permanence, mais restent des professionnels efficaces et intelligents. L’alchimie entre les deux comédiens est palpable, et leurs interactions avec les autres protagonistes sont réussies. Taylor-Johnson impressionne particulièrement dans les scènes d’action, se posant comme un candidat idéal pour le rôle de James Bond. Un autre personnage mémorable est le Prince, incarné par Joey King (récemment vue dans La Princesse sur Disney+), qui joue une variation de l’écolière sadique. Le Prince, sous ses airs innocents, s’avère être une sociopathe mortellement manipulatrice, aussi chanceuse que Coccinelle est malchanceux. Sa cible principale est Kimura (Andrew Koji, vu dans Snake Eyes et connu pour la série Warrior), un ancien gangster taciturne embarquant à bord du train, ivre et armé, pour venger son fils. Hiroyuki Sanada (Sunshine, Wolverine : Le Combat de l’immortel, Avengers: Endgame) incarne le père de Kimura, tandis que le rappeur et chanteur portoricain Bad Bunny joue Le Loup, un tueur des cartels mexicains avec une vendetta personnelle contre Coccinelle. Bien que quasiment muet, son rôle est très physique et impressionnant. Pour préserver les surprises du film, nous n’aborderons pas les rôles tenus par certains membres du casting ni les apparitions d’acteurs non listés sur les affiches, qui contribuent à l’aspect ludique du film.

Après une brève mise en place, Bullet Train comme le train qui lui donne son nom, adopte un rythme de croisière véloce, la vraisemblance n’est pas la priorité de ce thriller en milieu confiné qui recherche avant tout l’efficacité. Ainsi set–ups , payoffs et pistolets de Tchekhov parfois improbables s’enchainent à grande vitesse pour tenir le spectateur en haleine (même si comme beaucoup de films récent il perd un peu d’impact dans le dernier quart d’heure). Bullet Train est construit sur l’inévitable et sanglante collision d’intrigues au départ disparates, quand le Shinkansen arrivera en gare plusieurs personnages auront connus une fin tragique , de petits détails auront de grandes conséquences et certains se révèleront ne pas être ce qu’ils semblent être. A mesure que le film avance David Leitch décortique les différentes couches de l’intrigue et les motivations des personnages sous forme de flash-backs, des séquences souvent sanglantes introduits par des cartons lumineux et des changements de point de vue. La photographie de Jonathan Sela toute en couleurs bubblegum et éclats de néon renforce l’aspect irréel de cet univers presque « comic-book » (ou manga selon votre inclinaison) atténuant la violence du film aussi esthétique que brutale. Le film emploie beaucoup d’effets numériques en particulier dans le final mais ils se fondent dans l’esprit parfois cartoonesque du film. Nous n’avons jamais caché ici notre appréciation pour le travail de David Leitch dans le domaine de l’action . Chaque combat, chaque gag lui permet d’innover dans des types de scènes différentes toujours lisibles. Bien que le titre du film semble être à double sens les armes à feu et les balles ne sont pas omniprésentes. Le personnage de Brad Pitt en particulier emploie tous les moyens possibles, utilisant des objets qui l’entoure comme arme par destination, sauf des armes à feu pour se sortir de situations délicates. Son style repose sur des enchainements de causalités et d’improbables « effets papillon » induisant un effet burlesque à la manière d’un slapstick ou des films de Jackie Chan. L’aspect comique du film n’empêche pas quand il le faut Leitch d’iconiser comme il se doit certaines séquences comme celle de l’origine de « La Mort Blanche » qui évoque la séquence de l’origine de Keyser Soze dans The Usual Suspects et les meilleures planches de Frank Miller. La bande-son transmet la même frénétique énergie pop que le film , chaque piste , chaque « needle drops » ajoutant un shoot d’adrénaline comme ces versions nippones de Stayin’ Alive ou de Holding Out for a Hero.
Conclusion : Avec Bullet Train David Leitch, Brad Pitt et leurs camarades n’ont d’autre ambition que d’offrir aux spectateurs le plaisir irresponsable du pur divertissement. Ludique, sanglant , plein de rebondissements , de tension et d’humour, porté par une star charismatique et un casting brillant, vous pouvez embarquer sans crainte dans ce divertissement estival de première classe.