
L’immense succès critique et commercial de John Wick : Chapitre 4 n’a fait que souligner l’importance que cette franchise d’action a pour son studio Lionsgate qui entend bien en tirer le maximum de profit possible. Même si le dernier film semble avoir conclu l’histoire, il est désormais clair qu’un cinquième volet n’est pas à exclure, et Keanu Reeves se prépare déjà à reprendre son rôle dans une préquelle intitulée Ballerina, où Ana de Armas tiendra la vedette. Cependant, la première expansion de l’univers John Wick s’opérera sur le petit écran, à travers une mini-série diffusée sur trois soirées événementielles, dont le lancement est prévu en France sur Amazon Prime dès ce 22 septembre, intitulée Le Continental : D’après l’univers de John Wick. La série, située dans les années soixante-dix, a pour protagoniste Winston Scott, le personnage incarné au cinéma par Ian McShane et ici par Colin Woodell, un acteur américain que l’on a pu voir dans Paranoïa de Steven Soderbergh, ainsi que dans diverses séries, dont l’adaptation télévisuelle d’une autre franchise cinématographique, The Purge. L’intrigue se concentre sur la manière dont Winston a accédé à la direction de la branche new-yorkaise de l’hôtel « The Continental, » un sanctuaire réservé aux assassins où la violence est strictement proscrite. Par essence et en raison de ses contraintes budgétaires, une série se trouve naturellement obligée d’adopter un rythme plus mesuré et ne peut prétendre égaler l’intensité d’action propre aux films. Toutefois, en optant pour un format consistant en trois téléfilms « de prestige » plutôt qu’une saison traditionnelle, Lionsgate offre à ses créateurs les ressources nécessaires pour concevoir des scènes d’action qui s’inscriront harmonieusement dans l’univers de la franchise. « Le Continental : D’après l’univers de John Wick » plonge plus profondément dans les mystères de l’hôtel et de ses habitants, révélant certains secrets de son architecture et des protocoles instaurés pour préserver ses occupants. La série sert d’origin story pour Winston et le concierge du Continental, Charon, incarné dans la quadrilogie par le regretté Lance Reddick et ici par Ayomide Adegun (prochainement à l’affiche du préquel de « Hunger Games« ) permettant de savoir comment ils sont devenus ce qu’ils sont. Cependant, la série ne se contente pas de disséminer des Easter Eggs pour combler les fans inconditionnels de Wick, même s’ils sont nombreux (elle explore également les origines du réseau de SDF assassins dirigé par le personnage de Lawrence Fishburne dans les films). Le Continental : D’après l’univers de John Wick réussit habilement à marier ces éléments avec l’introduction de nouveaux personnages captivants, dont les intrigues s’entremêlent tout au long de la série pour aboutir à un final à la fois violent, spectaculaire et profondément satisfaisant.

En faisant le choix judicieux de situer l’intrigue au cœur du New York chaotique, délabré et périlleux des années 70, les scénaristes, Greg Coolidge, Kirk Ward, Shawn Simmons et Ken Kristensen (connu pour son travail sur « The Punisher« ), font de « Le Continental : D’après l’univers de John Wick » une aventure qui rassemble habilement les archétypes emblématiques et les conventions des grands genres pulps qui trouvent leurs racines à cette époque. Ce faisant, on y reconnaît les traits caractéristiques du polar à la manière de French Connection ou Serpico, du heist-movie (film de casse) de la Blaxploitation, des films de vigilante ou encore de Kung-Fu. C’est un peu comme si l’on assistait à une Ligue des Gentlemen Extraordinaires de l’univers du Grindhouse. Au fil de cette histoire, nous croisons divers personnages, tels qu’une intrépide policière latina au sein d’un département gangrené par la corruption (Mishel Prada), animée par une quête de vengeance . Puis, un frère et une sœur forment un duo singulier : le frère, Miles (Hubert Point-Du Jour), un vétéran du Vietnam est un expert en armes, tandis que la sœur, Lou (Jessica Allain), incarne une héroïne à la manière des personnages badass interprétés à l’époque par Pam Grier (un poster de Foxy Brown est en évidence dans de nombreuses scènes) qui refuse d’utiliser des armes à feu en hommage à leur père, fondateur d’une école d’arts martiaux qui leur sert de QG. Le jeune Winston (incarné par un Colin Woodell, qui parvient à capturer la mystérieuse présence qui caractérise Ian McShane dans les films) mène une vie luxueuse d’escroc en Europe. Cependant, il va se retrouver pris dans l’orbite de ses personnages lorsque le directeur du Continental, son mentor d’antan, l’impitoyable Cormac, le ramène de force aux États-Unis. La mission de Winston est de retrouver son frère Frankie (Ben Robson), lequel a dérobé un objet précieux qui met Cormac sous pression de la redoutable Haute Table, une organisation criminelle tentaculaire bien connue des aficionados de la franchise. Cormac, interprété par nul autre que Mel Gibson, constitue l’attraction phare de la série. Il s’agit là de la première incursion de cette ancienne mégastar à la télévision. Bien que Gibson ait été banni d’Hollywood en raison de ses dérapages racistes, homophobes et antisémites, son rôle lui permet de se livrer à une subtile autoparodie. Le gangster, tout comme son interprète, se montre profondément croyant et plaisante sur le fait qu’il pourrait être « hobophobe », un jeu de mots entre « homo » et « hobo », terme désignant les sans-abri. Gibson maîtrise avec brio le registre du méchant extravagant, évoluant entre l’univers des bandes dessinées et celui de James Bond, sans jamais basculer dans le ridicule.

Les créateurs de la série ont fait preuve d’ingéniosité en dotant le personnage de Frankie des traits d’un prototype de John Wick, un tueur ombrageux aux cheveux longs et aux compétences presque surnaturelles dans l’art du maniement des armes. Cette prouesse s’illustre magistralement dans la séquence inaugurale de la série, une épique séquence de « gun-fu » dans un escalier où il enchaîne les headshots, une scène qui rivaliserait aisément avec celles des films. Tout comme Wick, c’est l’amour qu’il porte à sa jeune épouse qui le pousse à affronter la Haute-Table, mettant sa propre vie en péril. Sa relation avec son jeune frère apporte une subtile justification à l’affection que Winston témoignera à John Wick. De plus, ce personnage s’intègre harmonieusement dans la philosophie propre à la série, qui vise à rassembler les grandes figures du cinéma d’exploitation des années 70. Frankie Scott évoque ainsi ces vétérans traumatisés du Vietnam qui rapportent la guerre avec eux, à la manière de Travis Bickle deTaxi Driver, de Rambo de First Blood, ou du Major Charles Rane de Rolling Thunder. La distinction réside dans le fait que Frankie ramène littéralement cette guerre dans la personne de son épouse Yen (Nhung Kate), une combattante Viet-Cong d’une férocité inouïe. Afin de sauver son frère, Winston devra réunir les anciens associés de ce dernier pour s’emparer du Continental. L’introduction d’un nouveau héros implique également l’apparition de nouveaux antagonistes. Pour restaurer l’ordre au Continental, la Haute-Table envoie une « Adjudicatrice » (comme celle incarnée par Asia Kate Dillon dans John Wick 3) ) une figure mystérieuse, jouée par Katie McGrath (Supergirl), qui dissimule son visage atrocement défiguré derrière un masque de porcelaine, accompagnée de son garde du corps, un punk sadique qui porte le kilt. De son côté, Cormac fait appel au duo gothique frère sœur, Hansel (Mark Musashi) et Gretel (Marina Mazepa), des tueurs aussi excentriques que mortels. Tout comme les œuvres antérieures de la saga John Wick, Le Continental : D’après l’univers de John Wick réunit des icônes familières du cinéma des années 90 et 2000. Parmi ces figures, nous retrouvons, dans un rôle discret, Patrick Bergin, connu pour sa participation à des films tels que Jeux de guerre et Les Nuits avec mon ennemi. Dans le rôle de l’oncle Charlie, l’expert en nettoyage de scènes de crime (initialement interprété par David Patrick Kelly dans le premier John Wick) , l’inquiétant Peter Greene, célèbre pour ses rôles marquants, notamment Z dans Pulp Fiction, Redfoot dans Usual Suspects ou le méchant du film The Mask aux côtés de Jim Carrey.

Sur le plan visuel, la série se distingue d’abord par la qualité de sa réalisation, confiée à un véritable cinéaste en la personne d’Albert Hughes. Dans les années 90-2000, ce dernier, aux côtés de son frère jumeau Allen, a signé une série de films à l’intensité viscérale et à la violence implacable : Menace II Society (1993), Dead Presidents (1995), From Hell, une adaptation d’une bande dessinée d’Alan Moore avec Johnny Depp (2001), ainsi que The Book of Eli (2010), un film d’action postapocalyptique mettant en scène Denzel Washington en samouraï aveugle aux côtés de Gary Oldman. En solo, il a réalisé le film d’aventures préhistorique Alpha en 2018. Il est aux commandes du premier et du dernier épisode de la série, les chapitres les plus riches en action. Quant au deuxième volet, il est dirigé par la réalisatrice franco-suédoise Charlotte Brändström, qui a également œuvré sur quelques épisodes de la série dérivée du Seigneur des Anneaux pour Prime Vidéo. Grâce à son talent visuel et à son affinité pour les genres qui nourrissent la série, Hughes insuffle à celle-ci une tonalité et un style qui lui sont propres, tout en préservant la cohérence avec la vision établie par Chad Stahelski pour les films John Wick. La série se distingue par son esthétisme soigné, et le choix de tourner dans les studios hongrois de Budapest permet de bâtir de véritables décors « en dur ». Cela offre à la reconstitution fantasmée du New York des années 70 une qualité « tactile » oscillant habilement entre réalisme et bande dessinée, sublimée par la contribution dans le dernier épisode du directeur de la photographie, Peter Deming (connu pour son travail sur Lost Highway et Mulholland Drive).

Bien que le format télévisuel demande une concentration accrue sur les intrigues et le développement des personnages, Le Continental : D’après l’univers de John Wick ne lésine pas pour autant sur l’action. Albert Hughes se délecte de mettre en scène des fusillades généreuses et des combats d’arts martiaux à la hongkongaise, déployant une dramaturgie qui leur est propre. Si l’on redoutait que le passage au petit écran ne tempère la violence des films, ces craintes peuvent être dissipées. En effet, Le Continental : D’après l’univers de John Wick se révèle particulièrement brutal, voire sanglant, réservant quelques moments de gore remarquables. D’autres points forts de la série incluent son générique animé, rappelant l’esthétique de James Bond, au rythme du morceau Hard Times de Baby Huey, dont la dernière image révèle un moment-clé de l’épisode à venir. De plus, la bande sonore est composée de standards issus des plus grands groupes des années 70, tels que Pink Floyd, The Who, ou ZZ Top. En conclusion Le Continental : D’après l’univers de John Wick réussit à marier les archétypes et les conventions des genres pulps emblématiques des années 70 avec une expérience immersive au cœur de l’univers John Wick. Mel Gibson apporte une touche d’autoparodie à l’ensemble, tandis que les nouvelles figures de la série contribuent à étoffer son univers. La réalisation d’Albert Hughes et une conception artistique soignée renforcent la dimension visuelle de la série, tout en maintenant une action intense et brutale fidèle à l’esprit des films. Le Continental : D’après l’univers de John Wick s’inscrit dans la lignée de la saga tout en offrant un contenu original, garantit une belle expérience télévisuelle pour les fans de la franchise John Wick et les amateurs d’action.