THE WOLF OF WALL STREET (2013)

Le Loup de Wall Street, un film fleuve, est dominé par l’interprétation magistrale de Leonardo DiCaprio, qui dépeint, en un peu moins de trois heures, l’ascension et la chute du trader vedette Jordan Belfort (dont le film adapte les mémoires) dans le Wall Street des années 90. Ce récit flamboyant, où la cupidité et l’excès sont à l’honneur, nous entraîne dans un univers où les limites de l’éthique sont constamment redéfinies. « Les Affranchis à Wall Street », c’est ainsi qu’on pourrait résumer ce Loup de Wall Street, cinquième collaboration entre Martin Scorsese et DiCaprio. Ce traitement singulier confère au film toute sa force, mais certains diront également que c’est sa seule faiblesse. Tout comme Les Affranchis, ce film est basé sur les vraies mémoires de son protagoniste, qui narre son ascension vertigineuse et sa chute à travers une voix off, s’adressant souvent directement aux spectateurs. Ce procédé nous fait découvrir les arcanes d’un monde très fermé, celui de Wall Street dans les années 90, tout comme Scorsese avait suivi l’histoire de la mafia sur trois décennies.

La construction rythmée de Le Loup de Wall Street est ponctuée par des dizaines d’extraits musicaux, allant du « Roi Arthur » de Purcell à « Ça plane pour moi » de Plastic Bertrand, rappelant ainsi le chef-d’œuvre de Scorsese des années 90. Les relations conjugales de Jordan Belfort (interprété par DiCaprio) avec Naomi (jouée par Margot Robbie), sa seconde épouse, une véritable « femme trophée », évoquent tout autant Casino que Raging Bull. On se trouve sur un terrain familier, mais il est important de noter que le projet a été présenté clé en main par son vedette, également producteur, qui ne voyait que lui pour donner vie à cette histoire. La narration en voix off était déjà présente avant son implication, avec Terrence Winter ( Boardwalk Empire, la série télé produite par Martin Scorsese) ayant même proposé de la retirer pour éviter les parallèles avec Goodfellas.

Bien que Martin Scorsese n’ait pas réinventé la roue pour l’occasion, il est indéniable qu’il est le meilleur metteur en scène capable de la faire tourner d’une manière aussi brillante. Il est difficile de croire qu’un homme de 71 ans soit à l’origine de cette œuvre ; sa mise en scène vertigineuse nous entraîne pendant trois heures dans un tourbillon de débauches et de rires. Le film remplace la violence de sa saga mafieuse par des scènes d’orgies et de débauche « caligulesques ».Nous sommes bluffés par les prouesses de montage de Thelma Schoonmaker, sa collaboratrice depuis Raging Bull, qui réussit à donner une fluidité étonnante à ce film audacieux et frénétique. Rejoignant l’équipe technique pour la première fois, le directeur de la photographie Rodrigo Prieto ( 21 Grams, Brokeback Mountain, Argo) offre un rendu visuel de papier glacé, s’assombrissant au fur et à mesure que le trader s’enfonce dans sa chute.

« it’s a fugazi, it’s a fugezee, it’s a wazzi, it’s a woozy … It’s fairy dust ». Tel un entomologiste, Scorsese observe ses protagonistes dans leur milieu, veillant à ne jamais laisser entrevoir le monde extérieur. Au risque, comme Brian De Palma avec Scarface, d’être accusé de les glorifier. Pourtant, son approche est faussement neutre, car l’accumulation des débauches de Jordan Belfort durant plus de deux heures, d’abord séduisante, finit par mettre en lumière un vide existentiel qui finira par le dévorer. Le rire devient alors grinçant. C’est à ce moment que le « monde réel » fait irruption, représenté par l’agent du FBI Patrick Denham (interprété par Kyle Cooper). Leur confrontation sur le yacht de Belfort constitue un grand moment : la collision de deux mondes irréconciliables. C’est également à travers les yeux de Denham que l’on aperçoit, dans une courte séquence muette, les visages des victimes anonymes de Belfort et de ses semblables, ajoutant une profondeur poignante à la narration. Au milieu de ces délires, Scorsese parvient à installer des moments d’authenticité émotionnelle, comme cette conversation touchante entre Belfort et sa première épouse devant la Trump Tower. Il parsème le film de détails inattendus et de moments décalés, comme cette véritable scène de « slapstick » où Leonardo DiCaprio se débat avec les redoutables effets des « Lemmon 714 ».

Cependant, Le Loup de Wall Street ne repose pas entièrement sur les épaules de Scorsese. Leonardo DiCaprio livre une prestation d’anthologie, étant présent dans presque toutes les scènes, passant du jeune courtier naïf et ambitieux au gourou de la finance, délivrant d’immenses monologues qui ponctuent le film.Il semble y avoir une libération en lui depuis sa prestation dans Django Unchained. Dans ce film, je lui trouvais un côté trop appliqué, comme s’il voulait prouver qu’il était l’égal des autres grands acteurs américains. Ici, tout comme chez Tarantino, il apparaît complètement désinhibé, osant se mettre dans des situations délicates pour une star de sa trempe, incarnant un accroc au sexe et à presque toutes les drogues existantes. Il parvient également à faire ressentir la fragilité de cette existence, sans nul autre repère que la cupidité qui finira par le lessiver.

DiCaprio est entouré d’une véritable armée de seconds rôles galvanisés par la perspective de tourner avec le maître italo-américain. Jonah Hill se démarque particulièrement dans le rôle de l’âme damnée de Belfort, à la fois sympathique et abject. Parmi les autres, les amateurs de la série The Walking Dead reconnaîtront Jon Bernthal, qui rappelle le grand Robert De Niro avec son personnage de dealer impulsif, tandis que Jean Dujardin, dans un rôle bref de banquier suisse véreux, nous fait… du Jean Dujardin. On note aussi la présence de trois réalisateurs confirmés dans de petits rôles : Spike Jonze ( Dans la peau de John Malkovich), Rob Reiner ( Quand Harry rencontre Sally) et Jon Favreau ( Iron Man). Enfin, une mention spéciale revient à Matthew McConaughey, qui marque le film de son empreinte avec ses dix minutes de présence, incarnant un trader vedette de Wall Street. Il enseigne à Belfort les « règles du jeu », et son phrasé ainsi que ses postures lors de son monologue m’ont hypnotisé.

Conclusion : Cette dernière collaboration en date entre DiCaprio et Scorsese, la meilleure à mes yeux, atteint un équilibre parfait avec ce film fou débordant d’une énergie décadente. Venez hurler avec ce loup !

Ma Note : A

Un commentaire

Répondre à nicolas Annuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.