Thor a toujours semblé être le moins bien loti dans la trinité des Avengers, si Iron-man et Captain America ont eu droit à des films qui comptent dans le MCU les films mettant en vedette le dieu du tonnerre ont toujours semblé anecdotiques. Après un deuxième film à la genèse troublée, Marvel décide d’expérimenter en laissant les commandes à un réalisateur débutant, réputé dans le comique mais sans expérience à ce niveau . S’ouvrant sur le classique « vous vous demandez comment je suis arrivé là… » avec son héros enchaîné la tête en bas face au démon Surtur, Thor Ragnarok annonce la couleur : ce sera une comédie, certes pleine d’action, mais une authentique comédie délirante, burlesque et colorée.
Dans cette expérience de narration unique qu’est le MCU il y a évidemment une logique industrielle et une ligne éditoriale qui en fixe la direction mais Kevin Feige est assez malin pour laisser s’exprimer des sensibilités particulières. Et non Thor Ragnarok ne « décalque pas la formule Gardiens de la Galaxie » ! Bien sûr les films du MCU ont toujours été drôles et l’humour constituait un ingrédient primordial des deux films de James Gunn mais il est ici pour la première fois l’ingrédient principal. Taika Waititi adore la bizarrerie de cet univers et sans le ridiculiser a décidé d’en exploiter les aspects les exubérants.
On a présenté le film comme un hommage pour le centenaire de sa naissance , au travail de Jack Kirby et si son sens si particulier du design imprime les costumes et décors du film, c’est un plaisir de voir des designs de vaisseaux qui s’éloignent enfin du look « techno-organique » de la SF cinématographique moderne (Transformers , Star Trek), l’absence de solennité empêche le film de retranscrire la majesté de l’œuvre du King. C’est plutôt du côté des comics des années 70 Post Kirby justement qu’il faut chercher l’inspiration de Ragnarok. De même ses influences cinématographiques les plus flagrantes ne trouvent pas leurs racines dans la saga Star Wars mais dans la nébuleuse de décalques et de superproductions kitschs qui ont suivi le succès du film de Lucas (Flash Gordon, Krull, Star Crash). Il y a quelque chose d’étrange et réjouissant de voir une production à 100 millions de $ consacrer ses immenses moyens à émuler ces productions kitsch. La musique de Mark Mothersbaugh si elle reprend quelques thèmes précédents de Brian Tyler et Patrick Doyle sait se montrer épique quand il le faut mais ses morceaux les plus mémorables sont dans la veine de sa partition pour La grande aventure Lego et résonnent comme la musique d’un jeu vidéo de la génération 8-bit.
Malgré son approche burlesque Thor Ragnarok n’ignore pas la continuité des précédents films impliquant ses protagonistes, même si c’est parfois pour s’en moquer. Il reprend ainsi le cliffhanger de Thor: The Dark World et en gère les conséquences. Il revisite aussi Age of Ultron ou des éléments d’Avengers pour ce qui se rapporte à la relation de Thor et Loki avec le colosse de jade (c’est d’ailleurs à l’origine d’un des gags les plus efficaces du film). Ainsi sans que cela semble forcé et tout en restant autonome Ragnarok s’intègre pleinement dans le MCU. A l’image de Captain America : the Winter Soldier, Ragnarok se veut un game-changer pour ce coin de l’univers Marvel toutefois sa nature comique et la proximité de l’événement global que va constituer Avengers Infinity War lui retire beaucoup de sa gravité. En contrepartie parce qu’il se libère par la comédie des contraintes d’un pseudo réalisme le film parvient à retranscrire de la façon la plus fidèle les éléments les plus baroques la bande dessinée à l’écran comme la coiffe d’Hela ou la façon dans la scène d’ouverture dont Thor, en plein combat fait tourner son marteau pour se créer un bouclier tels qu’ont pu le dessiner Jack Kirby et Walt Simonson. L’affection pour le run de Simonson qui, le premier introduisit une dimension comique dans les aventures de Thor (aux côtés d’une relecture épique des légendes nordiques que l’on ne retrouve pas ici si ce n’est au détour de quelques tableaux) est manifeste. Waititi et ses scénaristes multiplient les références à son œuvre (évocation de Thor transformé en grenouille, statue de Beta-Ray Bill sur Sakaar) et reconstitue dans un des rares moments poignants du film une scène célèbre avec Skurge. C’est d’ailleurs parce qu’ils sont saillants au milieu du délire que ces moments plus dramatiques sont réussis. L’angle volontairement kitsch permet même de couvrir les limites de la mise en scène de Taika Waititi à qui on pardonne le coté parfois plat tant il se montre généreux . Une des réussites à mettre à son actif est que, malgré le rythme enlevé et le nombre de protagonistes il parvient à laisser à chaque personnage un moment pour briller.
La version de Thor du MCU a toujours été plus proche du Hercule des comics Marvel que celle plus sérieuse de Thor. Cette version « grande gueule » du personnage riant et commentant l’action s’accorde donc parfaitement au ton du film, bien sûr avec la perte de son marteau aux mains d’Hela, la découverte du passé d’Asgard et son exil sur Sakaar le personnage entreprend un chemin vers plus de maturité mais reste un personnage de comédie. Cela convient à Chris Hemsworth visiblement enthousiaste. Heureusement le scénario fait prendre au personnage une décision inattendue qui va donner du coup donner un vrai intérêt dramatique au dernier acte du film. Hulk comme le montre la promo est bien présent à ses côtés, de manière organique puisque le script emprunte beaucoup à la saga Planet Hulk des comics, mais Thor Ragnarok n’est pas pour autant un buddy-movie, sa présence constitue un défi intéressant pour le dieu du tonnerre car il ne peut être vaincu ni physiquement (leur combat dans l’arène à qui il ne manque que les onomatopées des comics tient ses promesses ), ni convaincu dans le discours. Car Hulk parle enfin dans le film comme dans les comics avec le niveau d’un enfant de deux ans, ce que le script parvient à justifier. Hulk est ici une force de la nature qui a trouvé enfin un endroit pour vivre en paix loin de son alter-ego Bruce Banner (Mark Ruffalo), le défi pour Thor est alors de parvenir à le sortir de sa zone de confort. La dynamique de sa relation avec un Banner, qui a peur de voir sa personnalité disparaître à jamais est ainsi relancée et se pose à travers la comédie des enjeux qui seront sans doute développés plus sérieusement dans les films à venir.
Dans le rôle de la méchante Cate Blanchett s’amuse sans basculer dans le ridicule et si ( motif récurent de cette critique) l’atmosphère comique du film empêche la déesse de la mort d’être ce fameux grand vilain qui manque à Marvel, ses motivations : exposer les secrets et mensonges derrière l’histoire officielle d’Asgard sont convaincantes. Méchant secondaire le personnage du Grandmaster présenté ici loin de sa personnalité des comics se repose trop sur les tics agaçants d’un Jeff Goldblum en roue libre pour être vraiment marquant. On est loin de la performance bizarre mais efficace de Benicio Del Toro en Collector (le frère du Grandmaster dans les comics) dans Gardiens de la Galaxie . Karl Urban incarne Skurge l’Exécuteur, une des plus fidèles transposition du visuel d’un personnage de comics à l’écran, comme une petite frappe qui voit l’occasion d’une ascension sociale en s’associant à la déesse de la mort. Sa personnalité est donc différente de celle de son homologue de papier mais aboutira finalement à un dénouement similaire. Le personnage de Tessa Thompson (Creed) , Valkyrie devenue mercenaire qui noie dans l’alcool un traumatisme a finalement le parcours le plus intéressant car elle oblige Thor à mûrir et prendre ses responsabilités pour la convaincre de se joindre à lui. Le réalisateur se réserve le rôle de Krog, personnage comme la planète Sakaar issu de l’arc Planet Hulk, une figure monstrueuse puissante qu’il dote d’une voix fluette et d’un fort accent Néo-zélandais. Ces remarques au premier degré sont parmi les moments les plus drôles du film. Les personnages secondaires qui entouraient Thor dans les précédents films connaissent des fortunes diverses si certains sont relégués à de fugaces apparitions (Volstagg, Fandrall) ceux que le film utilise trouvent même brièvement, un rôle intéressant à jouer. Heimdall (Idriss Elba) n’est ainsi plus la sentinelle statique et passive mais un guerrier mystique protecteur de son peuple. Anthony Hopkins compose à petites touches un Odin à qui les machinations de Loki ont offert une porte de sortie face à ses responsabilités et lui donnant l’occasion de méditer sur ses échecs et ses regrets. Dans le domaine de ses apparitions « pour les impôts » sa performance y est bien meilleure que celle dans le dernier Transformers.Loki reste égal à lui-même toujours prêt à trahir et décevoir et si nous avons trouvé Tom Hiddleston un peu las il a quelques belles scènes avec son demi-frère et les meilleures répliques.
Conclusion : Récréation avant les prochains films plus « sérieux » du MCU à venir en 2019 (Avengers Infinity War et Black Panther) Thor Ragnarok est une ode sincère aux faces B, aux rip-offs de grand films et aux comics des bacs de soldes à 10 cents. Voir une major consacrer 100 millions de dollars pour reproduire les Marvel post-Kirby des 70´s et la SF kitsch post-Star Wars me fait dire : On vit une époque formidable!
Ma Note : B
Thor Ragnarok de Taika Waititi (Sortie le 25/10/2017)