
On ne peut guère dire que l’exploitation de la franchise des monstres pour enfants Pokémon au travers des plus de 1000 épisodes télévisés ou des films d’animation a eu pour priorité la qualité du divertissement. Mais avec le succès colossal de son extension pour mobile Pokémon Go, la marque japonaise a révisé ses ambitions avec cette adaptation Hollywoodienne, au point d’attirer l’attention de Warner Bros, toujours en recherche de la prochaine grande franchise dans la guerre des blockbusters que se livrent les studios. Warner et Legendary Pictures la société de production qui, après un bref passage chez Universal, vient de rejoindre la major avec laquelle elle avait produit par exemple les Batman de Nolan, parient gros sur cette marque populaire. L’annonce du film avait intrigué principalement grâce au casting inspiré de Ryan Reynolds pour prêter sa voix à Pikachu .

L’inspiration principale du script signé Dan Hernandez, Benji Samit (la série The Tick) et Derek Connolly (Jurassic World) d’après une histoire de Nicole Perlman (Les Gardiens de la galaxie) est clairement le classique de Robert ZemeckisQui veut la peau de Roger Rabbit avec son intrigue de film noir pour enfants et son mélange d’humains filmé en prises de vues réelles et de créatures animées fantastiques qui cohabitent, même s’ils ne peuvent pas comprendre la langue de chacun, dans une métropole d’inspiration asiatique baignée de néons à la Blade Runner Ryme-City. Le héros du film est Tim Goodman (Justice Smith), un adolescent solitaire qui vient d’arriver en ville pour enquêter sur la disparition de son père détective dans un accident suspect. Seul survivant de cet accident l’assistant Pokémon de son père, Pikachu (Ryan Reynolds) qui a perdu la mémoire et dont étrangement Tim est la seule personne qui peut le comprendre en dehors des spectateurs et souhaite son aide pour découvrir la cause de l’accident. Le père de Tim était-il mêlé à des expériences secrètes sur les Pokémon ? Est-il vraiment mort? Quel est le rapport avec l’amnésie de Pikachu? La méga-corporation fondée par Bill Nighy et dirigée par son fils est elle impliquée ? Et se pourrait-il que la journaliste adolescente (Kathryn Newton), qui prétend avoir découvert un complot, possède vraiment la clé de l’énigme?

Pokémon Détective Pikachu ressemble davantage à Scooby-Doo qu’à Chinatown, les principales intrigues sont clairement télégraphiées même si le scénario réserve quelques jolies surprises, l’histoire est relativement simple et avance à un rythme soutenu, s’arrêtant rarement pour reprendre son souffle. Le ton du film oscille parfois si brusquement qu’il donne l’impression que certains personnages se trouvent dans des films différents. Si contrairement à Roger Rabbit, les téléspectateurs adultes ignorants du monde des Pokémon auront peu de choses auxquelles se raccrocher, ils ne saisiront pas les nombreux « easter eggs » qui doivent pulluler avec une soixantaine de variété de Pokémon à l’écran, mais ne seront jamais perdu dans cet univers dont les règles sont clairement expliquées. La performance vocale de Ryan Reynolds qui fait de Pikachu une version « tout public » de son personnage irrévérencieux de Deadpool, moulin à parole accroc au café, donne à l’action le coup de fouet électrique requis. Le contraste de sa voix ironique sortant d’un hamster jaune moelleux (une vraie réussite numérique de la société Framestore) participe à l’humour et ses répliques font mouche et sont parfois à double-sens pour faire sourire les adultes accompagnant les jeunes spectateurs. Le duo étrange qu’il forme avec Justice Smith fonctionne, en particulier dans scènes comiques surréalistes – quand ils interrogent un Pokémon mime par exemple – et le développement de leur lien est à la fois drôle et émotionnel . Le jeune Smith vu dans Jurassic World Fallen Kingdom, qui n’a aucune relation de parenté avec Will, est très bon surtout face à tant de partenaires virtuels. Si il n’atteint pas les sommets du film Lego les créateurs de Pokémon Détective Pikachu utilisent la même approche: au lieu de se montrer terriblement respectueux du produit de plusieurs milliards de dollars qui l’a inspiré, ils sont persuadé que les fans sauront prendre plaisir à le voir parfois moqué avec affection.

Malgré sa direction énergique Rob Letterman (Gang de requins, Monstres contre Aliens ,Chair de poule le film ) ne parvient pas toujours à mêler de manière organique la comédie, l’action et les émotions mais il surprend par le soin qu’il apporte aux visuels du film. Le fait d’être tourné, à sa demande, sur pellicule, donne une texture et une chaleur aux nombreuses créatures qui les ancre dans la réalité malgré leur morphologie de cartoon et évite à Pokémon Détective Pikachu en dépit de l’abondance d’effets numériques de ressembler à un dessin-animé. Le grain et le contraste de la photographie de John Mathieson (Gladiator, Kingdom of Heaven, Pan, Logan) contribue à l’atmosphère de film-noir. Ce collaborateur régulier de Ridley Scott compose des plans nocturnes dignes du réalisateur de Blade Runner et d’ Alien assez surprenants dans un film pour enfants. La conception artistique du film signée par Nigel Phelps (Alien la résurrection, Troie, The Island) spécialiste des mégalopoles futuristes – il avait bâti le Mega-City One du Judge Dredd avec Stallone et participé comme directeur artistique à la création du Gotham du Batman de Tim Burton (aux cotés de son mentor Anton Furst auquel il rend un hommage évident dans le final du film) – crée avec Ryme City un mélange crédible de Londres et de Hong-Kong. Le laboratoire qu’il crée pour le film évoque celui du Alien de Jean-Pierre Jeunet. Aux cotés des compagnies d’effets visuels Moving Picture Company et Framestore, Letterman, Mathieson et Phelps sont les architectes d’une séquence à la fois ultra-spectaculaire et poétique, tournée en Ecosse avec béliers hydrauliques commandés par ordinateur couverts de terre et de feuillages, qui évoque les visions de Miyazaki.
Conclusion : Contre toute attente Pokémon Détective Pikachu, même si il adapte une licence ultra-commerciale, s’avère être un authentique film familial, autonome, drôle, avec de véritables personnages et une identité visuelle soignée qui ne prend pas ses jeunes spectateurs et leurs parents pour des idiots.