THE BATMAN (Critique)

A l’origine le projet The Batman était destiné à Ben Affleck quand il signa pour le rôle de Batman dans Batman V SupermanCe devait être le film solo de sa version du justicier de Gotham qu’il devait par ailleurs écrire et réaliser. Devant l’ampleur de la tache il renonce  à le mettre en scène,  la Warner cherche alors un réalisateur pour mettre en images le script co-signé avec le scénariste de comics Geoff JohnsMatt Reeves qui vient d’achever la trilogie de La Planètes des Singes est approché mais refuse le projet peu intéressé  à mettre en images une histoire très liée à la continuité des films de Zack Snyder.  Mais quand Affleck usé par  les polémiques autour des films de Snyder, ses problèmes d’alcoolisme et son divorce renonce au rôle, la Warner fait à Reeves une offre qu’il ne peut pas refuser : mettre en scène sa propre version du personnage dans son propre univers en dehors de la continuité du DCEU, où le personnage va continuer sous les traits de Michael Keaton mais ceci est une autre histoire.

Dés les premières images avec un mystérieux voyeur masqué qui observe une riche famille de Gotham avant de tuer brutalement le père de famille, maire de Gotham la note d’intention est claire: The Batman n’épousera pas les codes du film de super-héros mais ceux du film de serial-killer. Son Riddler (Paul Dano) sadique masqué en sweat à capuche, tout droit sorti du dark web loin du criminel flamboyant en chapeau melon et combinaison verte, cible des personnalités corrompues parmi l’élite de la ville et laisse derrière lui une traînée d’indices – ou d’énigmes – à résoudre pour attirer l’attention de Batman, justicier qui opère depuis deux ans dans les rues mal famées de Gotham. Ses messages codés sont souvent incorporés dans ses dispositifs élaborés de meurtre et de torture à l’image du tueur de la série Saw. A mesure que les crimes du Riddler deviennent plus tortueux et violents il devient clair qu’il cherche à exposer une conspiration bien plus grande qui implique un parrain du crime de Gotham, Carmine Falcone (John Turturro) et son associé « Oz » Cobblepot alias le Pingouin (Colin Farrell) et dont la révélation pourrait avoir de grandes conséquences sur Bruce Wayne lui-même. Aux cotés du lieutenant Gordon policier blasé mais intègre et de Selina Kyle (Zoë Kravitz) une employée de la boîte de nuit de Cobblepot qui est aussi une cambrioleuse amatrice de chats avec un sens de la justice qui lui est propre, Batman va tenter de démasquer le Riddler et exposer la corruption profondément enracinée dans la ville.

En faisant de son film  une fresque policière de trois heures dans un Gotham en proie au crime et à la corruption systémique comme dans les films de Sidney Lumet,  respectant le canon du personnage mais en tirant son traitement vers une approche « réaliste » de celui-ci, c’est bien à la trilogie de Christopher Nolan que se mesure Matt Reeves  même si   cette proximité de traitement du personnage et un scénario moins profond empêche le film de sortir complètement de l’ombre de ceux du réalisateur d’Interstellar. Intéressé comme  Nolan par l’aspect film noir de la mythologie Batman on retrouve des sources d’inspiration communes avec l’auteur d’Inception . D’une part le Batman Year One de Frank Miller et David Mazzucchelli qui raconte les débuts du personnage dans un Gotham rongé par la corruption et la violence inspiré du cinéma des années 70 et en particulier du Taxi Driver de Martin Scorsese. Reeves précède la première apparition tétanisante et enthousiasmante de son caped crusader  d’un long monologue en voix-off de Bruce Wayne qui rappelle  les tirades de Travis Bickle dans le film de Scorsese. Year One va servir de base aux relations qui unissent le justicier au futur commissaire Gordon et à sa vision du personnage de Catwoman.  En puisant aux mêmes sources The Batman  semble même dialoguer avec les films de Nolan en présentant une séquence en miroir où leurs deux versions de Batman échappent à la police  par les mêmes moyens mais dans des directions opposées. Autre référence Batman: The Long Halloween  (The Batman débute autour d’Halloween) une mini-série  en treize épisodes bâtie autour d’un mystère unique de Jeph Loeb (qui fut le professeur de scénario de Reeves en fac de cinéma) et Tim Sale dont Reeves  utilise un des antagonistes, Carmine Falcone interprété par John Turturro ( une approche plus fidèle que celle de Nolan dans Batman Begins qui avait fait jouer le rôle par l’acteur britannique Tom Wilkinson) ainsi que la place dans la chronologie dans la carrière du justicier de Gotham City qui lui permet d’avoir un Caped Crusader encore inexpérimenté sans avoir à raconter à nouveau ses origines . Là où ce dernier s’était énormément inspiré de l’esthétique du cinéma de Michael MannReeves emprunte lui  au cinéma de David Fincher et à Se7en en particulier. A tel point que The Batman avec son jeune justicier à la rage contenue qui fait équipe avec un policier blasé pour faire face à un tueur en série machiavélique qui a toujours un coup d’avance ressemble à une version du film de Fincher dans lequel le détective incarné par Brad Pitt porterait un costume de chauve souris. La découverte d’une Gotham City métropole en déliquescence sous une pluie perpétuelle où même à l’intérieur les lampes sont trop faibles pour dissiper les ombres, renforce cette impression. Mais force est de constater que cette ambiance sinistre sied à merveille à l’univers du Dark knight.

Un des grands plaisir de The Batman est qu’il place le personnage dont il  décrit la transition d’incarnation de la vengeance vers un  symbole d’espoir au centre de son intrigue. Sa version de Batman est la parfaite incarnation d’un héros compétent mais encore débutant, une version du personnage que l’on a finalement peu vue à l’écran. Quasiment toujours en costume, complètement absorbé par sa mission, il passe  son temps libre dans son antre sombre et caverneuse à faire des recherches. Son supposé majordome Alfred (Andy Serkis) semble tout aussi hanté que son jeune maitre (cette version d’Alfred Pennyworth est tirée des graphic-novels Batman Earth One de Geoff Johns et Gary Frank ). Si l’interprète de Gollum a peu de temps à l’écran il a une des scènes les plus émouvantes du film aux coté de  Robert PattinsonPattinson attendu au tournant, réinvente le milliardaire Bruce Wayne en reclus au look de rock star svelte et dandy dans le civil avec des mèches de cheveux noirs lui tombant sur le visage qui devient, dès qu’il enfile le costume du chevalier noir, une forme spectrale impassible, tout en rage contenue, qu’il libère dans des accès de violence sèche quand il neutralise ses adversaires. Autant dire que son interprétation du mythe  nous a pleinement convaincu. Si le fan de comics prend plaisir à le voir en costume la majeure partie du métrage interagir en tant que Batman avec les autres protagonistes , cela se justifie pleinement dans le film. Le Bruce Wayne de Pattinson est resté un enfant meurtri , son développement émotionnel arrêté au moment du décès de ses parents qui se réfugie dans cette incarnation qu’il s’est construit. Au cours du film se confrontant au passé de ses parents il va commencer à dépasser ce trauma. En quelque sorte The Batman est un peu Bruce Wayne Begins.En dépit de cette violence The Batman  offre enfin aux puristes du personnages et pour la première fois en live-action, un Batman qui ne tue pas et dont l’aversion pour les armes à feu est manifeste. Du coté des méchants, Colin Farrell méconnaissable sous une tonne de prothèses, libère son Robert De Niro intérieur dans cette version  gangster du Penguin, fidèle à l’incarnation contemporaine du personnage dans les comics. L’interprétation de Catwoman par Zoe Kravitz très naturelle, sans surjeu, est parfaite. Sa relation de partenaire réticente de notre super-héros novice fonctionne parfaitement d’autant que l’entente entre les deux comédiens est palpable. Leur complicité évoque leur relation dans les comics de Tom King. Si son personnage de Gordon est moins développé  que chez  Nolan, Jeffrey Wright  est parfait en Popeye Doyle de Gotham. En mafieux John Turturro (Barton Fink, O Brother) est incroyablement charismatique. Masqué et la voix déformée la plupart du temps, Paul Dano ne démérite pas mais n’a pas grand chose à apporter à un rôle assez ingrat de psychopathe machiavélique, un archétype (John Doe, Jigsaw, Lecter) vu et revu  (en mieux) y compris face à Batman. Il s’agit là d’une conséquence du choix d’une approche « réaliste » du personnage adoptée par Reeves qui, en se coupant des aspects les plus fantastiques de l’univers Batman, se voit cantonné  aux gangsters, terroristes et psychopathes comme antagonistes et se retrouve très vite dans les mêmes territoires que les Nolan..

Visuellement The Batman est un triomphe. La mise en scène de Reeves qui varie les styles et les points de vue apportant un soin particulier à la composition de chaque cadre travaille à merveille avec le directeur de la photographie Greig Fraser (Zero Dark Thirty, Rogue One plus récemment Dune). Si vous pensiez qu’un film de Batman ne pouvait pas être encore plus sombre que la déjà sombre trilogie de Nolan vous vous trompez ! Fraser s’impose ici comme un maitre des ténèbres, le Gordon Willis du film de super-héros, créant une ambiance sinistre à partir d’intérieurs macabres et d’extérieurs perpétuellement humides. De concert avec la direction artistique de James Chinlund (The Fountain, Avengers) qui agrège des éléments de décors réels, ils contribuent à bâtir cette vision organique d’un Gotham, enfer urbain à la fois stylisé mais crédible . Michael Giacchino signe peut-être ici son meilleur score travaillant une gamme dramatique incroyablement étendue, de son utilisation de l’Ave Maria de Schubert ou de Something in The Way de Nirvana, livrant parmi ses plus belles partitions comme ce magnifique thème pour Catwoman ou celui impressionnant pour Batman lui-même un riff funèbre à quatre notes, qui rappelle à la fois Jaws et la Marche Impériale de John Williams qui parvient à s’inscrire dans nos mémoires après ceux pourtant iconiques de Danny Elfman et Hans Zimmer. The Batman est certes long, parfois même lent, mais jamais ennuyeux car Reeves en collaboration avec le co-scénariste Peter Craig (The Town) dose soigneusement les séquences d’action qui, lorsqu’elles arrivent, sont à la fois visuellement sublimes et incroyablement impactantes tout en s’inscrivant parfaitement dans l’ambiance du film . Ainsi cette poursuite nocturne en voiture, filmée à travers le flou de fortes pluies et les lumières des phares de voiture reflétées dans les rétroviseurs où surgit telle une bête sauvage la Batmobile muscle-car vrombissant et indestructible est à couper le souffle. Il se dégage dans le meilleur de The Batman une sorte de majesté grave même si son rythme prive un peu son intrigue de tension, on est souvent impressionné rarement galvanisé. L’approche austère de Reeves est originale à une époque où le blockbuster de super-héros présente des forces omnipotentes menaçant la Terre, l’Univers et même le multivers. Il est agréable de se plonger dans une histoire dont l’échelle et le ton sont plus proches d’une aventure classique de Batman sans avoir de répercussions significatives sur le reste du Monde. Hélas alors que l’intrigue semble aboutir à sa conclusion logique, Reeves fait une concession au studio avec un climax faussement apocalyptique qui jure avec les enjeux à basse intensité qui le précèdent et apparait comme une excroissance, certes plaisante et spectaculaire, sur une histoire qui n’en avait pas besoin.

Conclusion : Même si la complexité de son script n’est  pas à la hauteur de sa maitrise formelle et si il montre trop ouvertement ses influences cinématographiques (Se7en) ou issues des comics  lui donnant un aspect « remix »  The Batman, certes imparfait, constitue par son ambition, sa maestria visuelle et la qualité de son interprétation, un nouveau chapitre impressionnant du cycle de Batman à l’écran.

Ma Note : B+

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