SANS UN BRUIT [Critique] Le Silence est d’or

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Partant d’un postulat dans l’esprit des nouvelles fantastiques d’un  Richard Matheson ou d’un Ray Bradbury popularisées par la célèbre série télévisée Twilight Zone , Sans un bruit est un pur « film à concept » dont le traitement s’inscrit dans la veine d’un Steven Spielberg et d’un M.Night Shyamalan en confrontant la cellule familiale à une menace surnaturelle. Troisième  film du comédien John Krasinski  produit par son réalisateur de 13 Hours  Michael Bay pour son label d’horreur Platinum Dunes (les remakes de Massacre à la tronçonneuse , Amityville  ou la série des American Nightmare) pour lequel il a engagé pour jouer à ses cotés sa célèbre épouse Emily Blunt (Le Diable s’habille en Prada, Edge of Tomorrow) le couple de parents d’une famille qui doit vivre dans le silence absolu dans un monde post-apocalyptique où des créatures mystérieuses qui chassent par le son menacent leur survie. Au moindre bruit leur existence même est en danger.

On compare souvent le troisième long métrage  de John Krasinski avec Get Out de Jordan Peele si ils ont en commun  un savoir-faire, leur période de sortie et un succès considérable  leur approche du genre fantastique est assez différente. Là où Peele l’utilise  pour explorer des problèmes sociaux avec une verve caustique sur le modèle d’un John Carpenter , Krasinski et ses  scénaristes Bryan Woods et Scott Beck font reposer le suspense  sur la charge émotionnelle et dramatique d’une famille sous la pression d’une menace extérieure mais aussi interne.C’est dans la nature même des films à concepts d’exploiter toutes les situations que peuvent engendrer leur postulat. Une des réussites du script de  Beck et Woods  est de ne pas s’arrêter à la partie gimmick (personne ne peut parler ou le monstre vous attrape) mais de s’interroger : «Quelle est la pire chose que vous pouvez faire à une famille dans ce contexte? »  « Comment puis-je rendre les choses encore pire pour mon héros? » La réponse à ces questions : l’introduction de la grossesse d’Evelyn (Emiliy Blunt) véritable bombe à retardement dans ce contexte est une grande idée. Mais la force de  Sans un bruit au-delà de la mécanique à suspense qui place le spectateur sous une tension permanente c’est que le film opère à un niveau émotionnel plus profond. En racontant son histoire uniquement à travers le prisme d’une famille (si l’on excepte l’apparition fugitive d’un couple âgé à l’origine d’une scene de de frayeur très efficace) Krasinski puise dans des  peurs primales qui devaient déjà animer nos ancêtres « Comment protéger mes petits des prédateurs qui rodent hors de la grotte ? »  et étend son concept de silence à celui  de la communication au sein  de  cette famille où le patriarche a  du mal à exprimer ses sentiments. Dans le script original des flash-backs absents du film montraient que ces problèmes pré dataient l’émergence des créatures, le film lui s’ouvre par une séquence annoncée par la mention « Jour 89 »  (l’action du film se déroule plus d’une année plus tard au « Jour 472 ») qui voit la famille sur les routes victime d’un événement traumatisant qui va introduire une  menace  , en plus de celle bien réelle des créatures, de démons personnels insidieux que sont le chagrin, le reproche et  la culpabilité. Le désir de Lee (John Krasinski) de s’accrocher  à une apparence de normalité et de sécurité en désaccord avec la précarité de la situation le place en conflit avec ses enfants, son jeune fils terrifié mais surtout sa fille rebelle Regan (Millicent Simmonds) atteinte de surdité , à la fois une grande force et une immense faiblesse dans ces circonstances.

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La mise en scène de Krasinski  précise dans les scènes de suspense sait aussi illustrer la dynamique familiale , on le sent inspiré par le cinéma de Spielberg –  les sillons que tracent les prédateurs dans les blés rappellent Jurassic Park,  le cache-cache d’Evelyn avec une créature dans la cave La Guerre des Mondes –  ou celui de M.Night Shyamalan pour le cadre rural, le poids du deuil sur la famille  et les attaques contre leur foyer qui évoquent Signes. Mais il apporte aussi des idées de mise en scène touchante comme dans une  scène où Lee et Evelyn, enceinte, passent un moment romantique au sous-sol, elle l’invite à danser  par le geste et ils partagent une paire d’écouteurs, le spectateur entend seulement la chanson Harvest Moon de Neil Young quand Lee met à son tour  l’écouteur dans l’oreille. Si la musique faisait partie d’une bande-son classique, plutôt que l’expérience auditive secrète entre deux parents sous pression essayant de maintenir un mariage au milieu d’une invasion extraterrestre, l’effet aurait été complètement différent. Sans un bruit se distingue par le soin méticuleux apporté à chaque détail pour donner vie et texture à son univers, des sentiers semés de sable sur lesquels la famille marche pour étouffer les bruits de leurs pas  jusqu’à leur système d’avertissement fait de  guirlandes lumineuses  blanches ou rouges. La photographie de la danoise Charlotte Bruus Christensen est à tour de rôle luxuriante et humide, expansive et claustrophobe. Mais évidemment dans un film où le son joue un rôle considérable le sound design sonore est primordial , de longues périodes de silence sont brisées par de puissants éclats , des sons anodins sont augmentés : du bruissement des champs de maïs, ainsi que les cliquetis des créatures ou le sifflement de l’aide auditive de Regan qui s’avère être un point clé de l’intrigue. Le couple vedette est excellent  Emily Blunt  mère courage dont la détermination douloureuse ne démarque pas les héroïnes de SF « musclées » (comme son personnage de Edge of Tomorrow) et Krasinski en patriarche déterminé mais  tourmenté. Comme les meilleurs films de Spielberg ou Shyamalan Sans un bruit échappe au syndrome de l’enfant irritant , ses jeunes interprètes sont justes en particulier la jeune  Millicent Simmonds dont la relation avec son père est le cœur battant du film.

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Si les très bons films de monstres  ne sont que rarement QUE des films de monstres les créatures de Sans un bruit sont réussies, leur design (signé par le concepteur de la production Jeffrey Beecroft ) d’essence plutôt moderne – carapace chitineuse et pattes de crustacé, visage dépourvu d’yeux et mâchoires proéminentes – est efficace. Si nous aurions préféré des maquillages à l’ancienne pour être en accord avec l’aspect tactile du film, l’animation des bêtes signée  par le vétéran des SFX Scott Farrar  dont la carrière s’étend de Star Trek, le film à la saga Transformers en passant par Jurassic Park ou Retour vers le futur est impeccable pour un film au budget somme toute moyen (17 Millions de $) , détail amusant  John Krasinski  incarne une créature en motion-capture le temps  d’une scène. Certes Sans un bruit n’est pas exempt de défauts , le bébé est commodément calme, sans être expert en nouveaux-nés  je sais qu’ils ne sont pas de petits anges calmes durant  les premières heures de leur existence  , on aurait aimé  voir la famille faire face à plus de pleurs. Nous avons eu aussi quelque problème avec la géographie de l’action et des éléments qui semblent surgir sans explications (la fuite d’eau). Mais là où Krasinski  excelle c’est qu’il n’étire pas son concept, le film est ramassé (1h30) et  il sait le conclure par un dernier plan parfait qui évoque la prise de conscience que la survie ne peut pas se trouver uniquement dans l’évitement mais aussi dans le courage de résister… bruyamment.

Conclusion : Sur les traces de Spielberg et Shyamalan,  John Krasinski confronte la cellule familiale au surnaturel .Un concept exploité à fond dans un exercice de suspense ultra-efficace qu’il sait conclure au meilleur moment.

Ma Note : B+

 Sans un bruit ( A Quiet Place) de John Krasinski (sortie le 20 juin 2018)

 

 

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