
Après le revers tant critique que commercial de Batman et Robin (1997), Warner Bros. s’est résolu à réorienter la franchise Batman vers une voie plus en harmonie avec les attentes d’un public de cinéphiles passionnés de bandes dessinées, devenu plus exigeant. Les deux opus des X-Men (2000, 2003) réalisés par Bryan Singer (Usual Suspects, Valkyrie) avaient radicalement modifié la donne, en abordant le genre avec gravité, rompant ainsi avec le style « camp » porté à son apogée par Joel Schumacher (Falling Down, The Client). Toutefois, le choix à opérer demeurait délicat pour le studio, qui initia le développement de projets aux orientations très diverses, révélant la crise identitaire traversée par l’icône de DC Comics. Le premier projet en lice consistait en une adaptation de la série animée Batman Beyond. Dans ce récit, se déroulant dans un Gotham City futuriste rappelant l’esthétique néo-noir de Blade Runner (1982), un jeune homme nommé Terry McGinnis reprend l’héritage du Chevalier Noir sous la tutelle d’un vieux Bruce Wayne. Boaz Yakin (Remember the Titans, Safe) avait dirigé cette entreprise ambitieuse, envisageant même de confier le rôle de Wayne à la légende Clint Eastwood (Unforgiven, Million Dollar Baby). Cette approche, bien que moderne, peinait à s’ancrer dans la continuité mythologique souhaitée. Le second projet, tout aussi audacieux, fut confié à Darren Aronofsky (Requiem for a Dream, Black Swan). Il avait pour ambition d’adapter l’un des récits les plus célèbres des bandes dessinées, Batman: Year One de Frank Miller (Sin City, 300), qui fut également sollicité pour rédiger le scénario. Bien que prometteur, ce projet s’éloignait considérablement du matériau source pour une interprétation résolument subversive. Dans cette version, Bruce perdait sa richesse pour devenir un sans-abri vivant dans la rue ; Alfred devenait « Little Al », un Afro-Américain dirigeant un atelier de réparation automobile et servant de mentor à Bruce. Le nom de Batman provenait d’un entrelacement des lettres T et W sur une bague qu’il portait tout en luttant contre le crime, souvent confondu avec une chauve-souris par les criminels. De plus, la Batcave était située dans une station de métro abandonnée (concept repris dans The Batman) . Ce projet, jugé trop baroque et déconstructif par le studio, fut abandonné en juin 2002. Ces tentatives successives soulignaient que Warner Bros. était à la recherche d’une vision forte, mais respectueuse des fondamentaux.Finalement, le studio n’a pas renoncé à son ambition de confier la réalisation à un jeune cinéaste prometteur doté d’une identité visuelle marquée. Au début de l’année 2003, le choix se porta sur le jeune Christopher Nolan, dont la réalisation éblouissante de Memento (2000) avait captivé la critique par sa structure narrative complexe et son exploration psychologique. Nolan, associé au scénariste David Goyer (Blade, Dark City), fervent amateur de bandes dessinées, accepta le projet avec l’intention de renouer avec les grands blockbusters qui ont marqué son enfance, en particulier le Superman (1978) de Richard Donner (The omen, Lethal Weapon). Nolan aspirait à instaurer la vraisemblance dans le monde de Batman. Il souhaitait adhérer au principe de la verisimilitude , qui théorise qu’une fois admis quelques principes « extraordinaires » — l’existence d’un justicier masqué, par exemple — il faut traiter les événements d’un film de super-héros non pas au second degré, mais de la manière la plus réaliste et la plus sérieuse possible. Initialement, Nolan était même prêt à abandonner des éléments iconiques du costume, tels que les oreilles pointues et la cape. Goyer réussit à le convaincre de préserver les éléments essentiels du mythe, mais Nolan insista pour les justifier de manière plausible dans le contexte réaliste du film, faisant du costume une armure d’assaut et de la cape un dispositif de vol à haute technologie. L’inspiration pour le scénario est profondément ancrée dans les classiques du comic book. Nolan incorpora la scène d’ouverture du film où Bruce tombe dans un puits de la propriété, inspiré par L’Homme qui tombe de Denny O’Neil et Dick Giordano, une courte histoire qui explorait la peur primitive des chauves-souris. Goyer, quant à lui, s’inspira du sobre et sérieux Batman: The Long Halloween de Jeph Loeb et Tim Sale, en reprenant le personnage du criminel Carmine Falcone. De plus, l’absence prolongée de Bruce Wayne à Gotham, tirée de Batman: Year One de Miller, fut utilisée pour situer certains événements du film. Du même Batman Year One, il reprit le traitement du personnage de James Gordon, policier honnête dans un Gotham City rongé par la corruption, situant le film dans les débuts du justicier masqué. Pour fixer l’atmosphère et le style qu’il souhaitait imprimer au projet, Nolan projeta Blade Runner (1982) de Ridley Scott (Alien, Gladiator) avant le tournage à son directeur de la photographie Wally Pfister (Inception, The Prestige), qui sera nommé aux Oscars pour ce film cette année-là.

À l’instar de Sam Raimi et Richard Donner avant lui, Christopher Nolan fait preuve d’une sagacité remarquable en nous accordant le luxe de découvrir l’homme derrière le masque avant de se plonger dans le monde du super-héros. Le traumatisme profondément ancré en Bruce Wayne concernant la perte de ses parents revêt une intensité accrue, car nous sommes initiés aux relations émotionnelles qu’il entretenait avec son défunt père, offrant ainsi une nouvelle perspective sur le lien indéfectible entre Alfred et Bruce. L’engagement dévoué d’Alfred envers la famille Wayne éclaire sa foi inébranlable envers Bruce. Nolan enrichit la mythologie en dépeignant comment ce traumatisme a enfoncé le jeune orphelin dans les abîmes de la colère et de la culpabilité, soulignant que c’est en endossant le rôle de Batman qu’il parvient à s’en affranchir. Christopher Nolan a, en quelque sorte, sauvé le Chevalier Noir en adoptant une approche qui fusionne les récits plus crus des premières bandes dessinées, la renaissance psychologique ténébreuse des années 70, et bien sûr, la réinterprétation hardboiled de Frank Miller sur les premiers jours de Batman, le ramenant ainsi à ses racines : celles du super-héros le plus humain (et borderline). Le choix judicieux de l’acteur intense Christian Bale dans le rôle-titre est une source d’inspiration, et bien que Nolan ne se considère pas comme un fervent admirateur, il saisit parfaitement la véritable essence du personnage : si le Batman qui arpente les rues est lui-même une construction élaborée (comme en témoigne la voix caverneuse, objet de tant de discussions, adoptée par Bale), Bruce Wayne demeure l’identité secrète de Batman et non l’inverse. Le millionnaire playboy n’est pas une pause dans sa lutte contre le crime, mais plutôt une identité méticuleusement élaborée et entretenue, créée pour détourner l’attention de sa véritable mission. Nolan, qui s’était forgé une réputation avec « Memento« , un film structurellement et dramatiquement complexe, construit le scénario autour de flash-backs soigneusement choisis afin de privilégier l’aspect dramatique plutôt que la simplicité narrative. De la même manière, il accorde davantage d’importance à l’ambiance et aux ressorts psychologiques qu’aux grandes séquences d’action typiques des blockbusters, même si le film n’est pas avare en la matière. Passionné par l’art de la prestidigitation, Nolan s’immerge dans les méthodes théâtrales qu’il utilise pour insuffler une aura surnaturelle au personnage de Batman. La peur se révèle comme l’un des thèmes centraux du film, les protagonistes se situant entre ceux qui en sont les victimes, ceux qui la surmontent, et ceux qui la provoquent. Batman, bien entendu, navigue successivement entre ces catégories, car le film narre son processus de construction à travers ces différentes phases. De fait, Nolan emprunte fréquemment le vocabulaire cinématographique du film d’horreur, s’inspirant de la grammaire visuelle de Ridley Scott pour « Alien », notamment dans la séquence marquante de la première apparition de Batman.
De nombreux fervents admirateurs envisageaient Christian Bale comme l’incarnation parfaite d’un Batman potentiel, nourrissant leurs attentes sur la base de ses prestations mémorables dans des films tels qu’American Psycho (où il incarnait un autre millionnaire aux multiples facettes) ou Equilibrium. Ces espoirs ont été plus qu’exaucés, révélant la métamorphose accomplie par l’acteur gallois, passant du jeune traumatisé Bruce Wayne à un Batman d’une impeccabilité saisissante. L’expressivité de son visage et son comportement laissent entrevoir une innocence et une vulnérabilité voilées par la douleur, émanant finalement d’une force et d’une confiance intérieures. En devenant le Chevalier Noir, sa posture et sa voix subissent une transformation captivante. En tant que cinquième acteur à endosser le costume de caoutchouc noir sur le grand écran, Christian Bale électrise le film de sa première scène à sa conclusion. Un contraste frappant avec les adaptations précédentes se manifeste, où, dans la foulée de la performance magistrale de Jack Nicholson dans le film de Tim Burton, les personnalités surdimensionnées des antagonistes éclipsaient presque celle de Batman, reléguant le héros au statut de guest-star dans ses propres films. Batman Begins se profile peut-être comme le premier opus où le protagoniste tient véritablement le rôle principal. Chacun des antagonistes sert à faire progresser l’intrigue, et les thématiques du film enrichissent le héros au lieu de le reléguer au second plan. Pour incarner ces rôles antagonistes, Christopher Nolan fait appel à des acteurs solides tels que Cillian Murphy, suffisamment effrayant et troublant dans le rôle du psychiatre sadique Dr. Jonathan Crane, mieux connu des adeptes de bandes dessinées sous le nom de Scarecrow. Tom Wilkinson, dans le rôle du redoutable parrain de la pègre de Gotham City, Carmine Falcone, offre une performance intensément captivante. Enfin, Ken Watanabe fait une apparition mémorable dans le rôle du mystérieux Ra’s Al Ghul. Ce choix de vilain se distingue par son caractère intrigant, car il ne relève pas de la folie commune à tous les autres adversaires de Batman. En réalité, Ra’s Al Ghul tente de guérir le monde, bien que ses moyens soient inacceptables. Le conflit entre lui et Batman revêt ainsi une dimension aussi bien philosophique que physique, le héros partageant parfois ses convictions tout en s’opposant à ses méthodes. Le Ra’s Al Ghul des comics possède une dimension fantastique, traversant les siècles grâce au Puits de Lazare qui lui confère l’immortalité. Pour demeurer en accord avec les paramètres réalistes chers à Nolan, David Goyer apporte une explication élégante à cet élément fantastique.

Nolan, toujours inspiré par le Superman, de Richard Donner a également entouré Bale d’acteurs prestigieux ce qui permet de bâtir des relations riches entre les personnages dans lequel le spectateur s’investit immédiatement. Begins relatant les années de formation d’un des plus célèbres orphelins de la fiction il l’entoure de nombreuses figures paternelles au premier rang desquelles Michael Caine dans le rôle du majordome et confident de Bruce Wayne : Alfred Pennyworth. Caine est superbe dans ce rôle, faisant appel à ses propres expériences avec des majordomes, il ajoute une fraîcheur et une authenticité au personnage jamais vue auparavant. Pour la première fois Alfred se voit confier autre chose que simplement « servir » il est rafraîchissant de le voir au coté de son protégé, travaillant au développement de la combinaison (dont certaines parties sont fabriquées en Chine) et de divers autres gadgets. Sa performance unique comble un vide des adaptations cinématographiques précédentes où le personnage était accessoire alors qu’il est devenu dans les comics une partie importante de l’héritage de Bruce-Batman. Morgan Freeman prête son autorité mais aussi sa malice dans le rôle de Lucius Fox, le créateur de génie qui équipe sans le savoir (?) le Batman avec une grande partie de son arsenal de lutte contre le crime y compris la Batmobile du film véhicule de guerre à mi-chemin entre le Hummer et le tank. Gary Oldman, abonné à l’époque aux rôles de psychopathes était un choix atypique pour incarner le le lieutenant James Gordon, qui sera un jour commissaire mais qui est pour l’instant le seul flic honnête de Gotham l’allié le plus fidèle de Batman (le personnage étant avec Alfred celui qui connait le plus grand changement par rapport aux précédentes adaptations), il apporte une chaleur inattendue au rôle dés sa première scène qui le voit consoler le jeune Bruce la nuit de l’assassinat de ses parents. Liam Neeson apporte son imposante présence au personnage de l’homme se faisant appeler Ducard, un autre des mentors de Bruce (créé dans les comics par Sam Hamm le scénariste du film de Burton) qui le forme aux disciplines ninja (sans oublier de lui donner l’inspiration pour ces gants festonnés) . C’est une figure paternelle plus grave qui oblige Bruce à questionner ses motivations, dépasser ses peurs mais aussi à s’affranchir de son influence. Morgan Freeman prête son autorité, agrémentée d’une touche de malice, au rôle de Lucius Fox, le génie créatif qui équipe, sans le savoir (ou pas?), Batman d’une grande partie de son arsenal de lutte contre le crime, incluant la Batmobile, un véhicule de guerre à mi-chemin entre le Hummer et le tank. Gary Oldman, alors plus habitué aux rôles de psychopathes, offre un choix atypique mais brillant pour incarner le lieutenant James Gordon, futur commissaire, mais actuellement le seul policier intègre de Gotham, devenant ainsi l’allié le plus fidèle de Batman. Son interprétation apporte une chaleur inattendue au rôle dès sa première scène, où il console le jeune Bruce la nuit du tragique assassinat de ses parents.Liam Neeson apporte son imposante présence au personnage de l’homme se faisant appeler Ducard, un autre mentor de Bruce créé dans les comics par Sam Hamm, le scénariste du film de Burton. Ducard forme Bruce aux disciplines ninja, tout en lui insufflant l’inspiration pour les gants festonnés. Il incarne une figure paternelle plus sérieuse, contraignant Bruce à remettre en question ses motivations, à surmonter ses peurs, mais aussi à se libérer de son influence.
Les films précédents mettant en scène Batman se caractérisaient par une atmosphère « claustrophobe ». Cependant, à la différence du Gotham City créé par Burton et Schumacher, une métropole déconnectée du monde réel, Christopher Nolan aspire à insuffler à la ville une véritable vraisemblance. Il transpose habilement les décors extérieurs de Londres, New York et Chicago, tandis que les éléments les plus fantastiques, tels que la Batcave, prennent vie grâce à la magie reconstituée des studios dirigés par Nathan Crowley. En tant qu’ardent admirateur des fresques cinématographiques de David Lean en 70 mm, Nolan transporte Bruce Wayne aux confins du monde, des sommets enneigés de l’Extrême-Orient (filmés en Islande) aux gratte-ciel imposants de Gotham City, conférant ainsi une envergure épique inédite à la saga. La musique, un élément indissociable de l’expérience cinématographique, a toujours joué un rôle essentiel, marquée par le thème inoubliable de Danny Elfman dans les mémoires. Nolan avait initialement sollicité Hans Zimmer pour composer la musique, et ce dernier, à son tour, a invité James Newton-Howard, avec qui il avait depuis longtemps l’envie de collaborer. Leur entente, partageant des thèmes distincts pour Bruce Wayne et son alter ego, aboutit à une bande sonore puissante et mémorable, fusionnant habilement orchestre et musique électronique, où Zimmer s’illustre dans les séquences d’action, tandis que Howard se concentre sur les scènes dramatiques. En tandem avec les X-Men de Bryan Singer et la trilogie originale de Spider-Man de Sam Raimi, Batman Begins a joué un rôle déterminant dans l’évolution de la sophistication du genre super-héroïque, en parallèle avec celle des romans graphiques destinés à un lectorat plus mature. Nolan se positionne comme l’un des pionniers de cette nouvelle approche, abordant le mythe de Batman avec respect plutôt qu’avec une vénération aveugle. Il ose traiter le comic avec la même gravité que l’on accorde à un thriller, tout en préservant les éléments qui constituent la force inhérente de cet univers. Ainsi, Nolan a insufflé à Batman une résonance et une valeur retrouvées.
Conclusion : Si The Dark Knight l’a quelque peu éclipsé, ce premier chapitre possède une énergie, un émerveillement quasi-enfantin que sa suite, plus sombre, a laissé s’échapper. Tel le frisson qui parcourt le spectateur au moment où Batman retourne la carte à jouer, révélant ainsi l’identité de son prochain ennemi, c’est le genre de point d’exclamation cinématographique à couper le souffle que seul un maître cinéaste et un film magistral peuvent procurer.
Ma Note : A