SICARIO : LA GUERRE DES CARTELS [Critique]La prisonnière du désert

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Le très bon Sicario du brillant  Denis Villeneuve semblait se suffire à lui-même ainsi l’idée d’une suite  sans  Roger Deakins et Emily Blunt, même en conservant Josh Brolin et le Sicario du titre Benicio Del Toro  semblait incongrue. des premières bande-annonces axées sur l’action  faisaient même craindre une suite plus proche du DTV que du film de prestige. Mais c’etait sans compter sur le talent du scénariste Taylor Sheridan (Comancheria, Wind River) et de l’italien Sergio Sollima…

L’annonce d’une suite inattendue au  brillant Sicario se passant des talents de Denis Villeneuve, de ceux de son oscarisé directeur de la photographie Roger Deakins ainsi que de son héroïne Emily Blunt nous laissa assez sceptiques. Ne conservant  que ses ombrageux anti-héros l’agent trouble incarné par Josh Brolin et le Sicario (tueur) du titre Alejandro (Benicio Del Toro) qui reprend son rôle d’ancien avocat des cartels devenu exécuteur pour venger sa famille, Sicario La Guerre des Cartels  impose comme vrai pilote de cette saga le scénariste Taylor Sheridan qui en quelques films comme scénariste ou réalisateur (Comancheria, Wind River) s’est imposé comme le maître d’un neo-western naviguant dans les zones grises de l’Amérique avec ses héros taiseux pris dans l’engrenage d’une violence inévitable. La production a fait appel à Stefano Sollima, pas étranger au crime organisé puisqu’il a réalisé la série Gomorra avec à ses cotés le brillant Dariusz Wolski  qui éclaire les films de Ridley Scott depuis plus de dix ans. Si la mise en scène de l’italien est plus frontale et ne possède pas l’aspect onirique de celle du réalisateur de Blade runner 2049 il maintient un style  cohérent avec celui du premier film, des paysages désertiques de la frontière mexicaine, souvent filmés comme depuis la perche d’un satellite imaginaire qui en souligne l’aspect presque extra-terrestre et une atmosphère lourde d’appréhension qui saisit le spectateur dès une séquence d’ouverture glaçante, authentiquement traumatisante, où des kamikazes frappent une petite ville du Kansas. Parce que le président qu’on devine Trumpien, est convaincu que les terroristes ont pénétré aux USA via la frontière mexicaine avec l’aide des cartels, pour qui le trafic de migrants est devenu une des principales sources de revenus, veut ajouter les gangs mexicains à la liste des organisations terroristes. Le secrétaire à la défense (Matthew Modine tout en raideur hypocrite) et Cynthia Foards (Catherine Keener) commanditent à Matt Graver (Josh Brolin) une opération clandestine visant frapper les gangs mexicains sur leur sol. Ce dernier a pour objectif de déclencher une guerre entre rivaux en enlevant « sous faux drapeau » Isabel Reyes (Isabel Moner vue dans le dernier Transformers) la fille du dirigeant d’un des principaux cartels. Il réactive donc Alejandro Gillick (Benicio Del Toro) Reyes, étant semble t-il le super-patron qui a ordonné l’assassinat de sa famille (au dessus sans doute du boss déjà éliminé par ce dernier dans le premier film).

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En quelques films Taylor Sheridan est devenu une voix particulière dans le cinéma américain, dernier représentant d’une longue tradition qui le relie au western, dans les pas d’un Walter Hill ou d’un Sam Peckinpah avec ses héros crépusculaires derniers vestiges d’un ancien monde que la violence et les remords rattrapent. Paradoxalement nous avions trouvé  le scénario du premier volet , compétent mais trop linéaire au regard de la magistrale mise en scène de Villeneuve. Ici il en conserve le meilleur, un sous-texte politique fort, des personnages ambigus et une fibre nihiliste tout en rendant son intrigue plus noueuse développant ses protagonistes énigmatiques que la survie d’Isabela qui devient un enjeu géopolitique, va obliger à enfreindre leur propre codes. Dans le contexte actuel son intrigue mélangeant migrants clandestins, cartels de la drogue et terroristes pourrait être interprétée comme confortant les fantasmes Trumpistes pourtant Sheridan en fait apparaître les complexité : des mères de famille  américaines WASP et blondes comme des présentatrices  de Fox News participent au trafic (avec leur bébé à l’arrière) pour arrondir leurs  fins de mois et les évidences qui semblent lier immigration clandestine et terrorisme s’avèrent trompeuses. Sheridan injecte une humanité, suggérant les complexités de cette société frontalière là où le premier film en faisait un espace presque irréel. La trajectoire d’Alejandro et sa captive va croiser celle de Miguel (Elijah Rodriguez), un adolescent américano-mexicain introduit dans un gang frontalier par son cousin. Rodriguez a un jeu intense avec une tristesse dans le regard qui rappelle celle d’un Del Toro plus jeune. Le rapport trouble qui va se nouer entre eux est un des cotés du film le plus réussi. Miguel vit dans une maison au Texas, à quelques mètres du Mexique – une image  sur laquelle Sollima s’attarde, assez longtemps pour que nous faire réaliser que les deux pays sont si proches et si éloignés. Comme dans le premier volet la frontière américano-mexicaine est la métaphore de celle qui sépare le bien du mal et que franchissent les protagonistes.

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On sent chez Stefano Sollima, fils de Sergio Sollima petit maître du western spaghetti et du poliziotteschi (le « policier spaghetti » des années 70), une fibre plus populaire que chez Dennis Villeneuve qui s’accorde bien aux cotés feuilletonesques de cette suite. Aidé par la partition minimaliste  d’Hildur Guðnadóttir qui réplique les  pulsations anxiogènes de son mentor Jóhann Jóhannsson (décédé en 2017) il  bâtit son film comme le cinéaste  québécois autour de grandes séquences où la tension monte  irrésistiblement jusqu’à devenir insupportable avant l’inévitable libération de la  violence, comme dans cette séquence  dans laquelle trois Humvees américains foncent à toute allure sur une route de terre, sans que  les protagonistes puissent voir autre chose que  la poussière qui s’échappe des fenêtres, avec la quasi-certitude d’une attaque imminente. Mais, là où Villeneuve mettait en scène la violence en rafales brèves presque irréelles Sollima utilise pleinement la machinerie hollywoodienne pour orchestrer de longues fusillades brutales et très sanglantes, sans pour autant faire du film un shoot’em up, l’action semble réaliste et renvoie aux fusillades de Heat ou de Danger Immédiat (auquel le film fait inévitablement penser). Que ce soit un saut en haute altitude prélude à un raid punitif à la Zero Dark Thirty,  un règlement de comptes en plein jour au milieu des tours cyclopéennes de Mexico ou une exécution nocturne où il emploie les mêmes teintes que pour le mésestimé Cartel de Ridley Scott, Dariusz Wolski éclaire somptueusement le film parvenant à faire oublier l’absence de Roger Deakins. Le film n’est pas exempt de défauts, certaines décisions des personnages semblent aller  à l’encontre de la façon dont Villeneuve, Sollima et Sheridan les ont esquissés collectivement – des professionnels qui évoluent dans une zone grise amorale- et certains rebondissements du dernier acte poussent parfois l’incrédulité dans ses limites.

Conclusion : Malgré quelques défauts Sicario La Guerre des Cartels avec sa tension permanente, sa photographie somptueuse et l’impact de sa mise en scène parvient, pour un film dont personne n’était convaincu de la nécessité, à non seulement justifier son existence mais à nous faire espérer un dernier chapitre.

Ma Note : B+

Sicario la guerre des cartels (Sicario: Day of the Soldado) de Sergio Sollima (sortie le 27 /06/2018)

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