AD ASTRA (Critique)

Depuis une décennie le film de S.F adulte qui mêle exploration spatiale et questions métaphysiques connaît de grandes heures à Hollywood avec Gravity , Interstellar ou The Martian. De façon inattendue c’est au tour de James Gray auteur de The Yards, La nuit nous appartient ou The Immigrant de s’y lancer avec Ad Astra littéralement « vers les étoiles » dont le scénario lui fut inspiré par la lecture en 2011 de deux articles scientifiques. Le premier faisait la chronique des premières expérience de fission de l’atome qui présentaient un risque faible, mais réel, de destruction de toute la matière connue dans l’univers et un second décrivant que la Nasa s’intéressait à des profils d’astronautes atteints de troubles de la personnalités pour des vols habités très lointains car ils pourraient supporter l’absence d’interaction sociale durant des années. Gray combine ces concepts avec celui du voyage initiatique dans un environnement hostile plaçant Ad Astra sous les figures tutélaires d’Au Cœur des Ténèbres de Joseph Conrad et donc d’Apocalypse Now de Coppola (déjà influence majeure de son précédent film The Lost City of Z) qui adaptait la nouvelle dans le contexte de la guerre du Viet-Nam et évidemment du 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick incontournable dés lors qu’on aborde un voyage métaphysique aux confins du système solaire. Il y a aussi dans Ad Astra et ses apparitions liées à la psyche de son héros, un peu de Solaris et de la science-fiction russe(pas étonnant vu les origines ukrainiennes de son auteur).

Brad Pitt y incarne Roy McBride ingénieur astronaute qui s’est émotionnellement coupé du monde depuis la disparition seize années plus tôt de son père Clifford McBride (Tommy Lee Jones) lors d’une mission à l’autre bout du système solaire à la recherche de signaux d’une intelligence extra-terrestre, éloignant ses proches pour se réfugier dans les automatismes des procédures de son métier. Opérateur d’un télescope installé sur la Terre, sa station d’observation est détruite par un phénomène baptisé « surcharge » qui cause également des ravages sur Terre et dont l’origine serait des rayons cosmiques venus de Neptune. Le commandement militaire américain lui confie alors une mission à la recherche de son père qu’il pense encore vivant et dont les expériences scientifiques pourraient être en rapport avec la surcharge. De la Terre à la Lune, colonisée par les terriens puis Mars d’où d’où il doit émettre un message vidéo pour son père jusqu’à Neptune il va dévoiler des secrets qui menacent la vie sur la Terre et se confronter à cette figure paternelle qui le hante depuis des années et incarne tout ce qu’il refuse de devenir

En ajoutant à ce voyage au cœur des ténèbres cette dimension freudienne avec ce héros qui doit symboliquement (ou peut-être littéralement) tuer ce père pour retrouver son humanité perdue, Gray cherche à donner à Ad Astra une dimension primale, quasi-mythologique – il dit avoir voulu livrer une interprétation de l’Odyssée d’Homère vue du point de vue de Télémaque (le fils d’Ulysse) – afin que le spectateur ressente de façon inconsciente les rapports entre les personnages sans que soient nécessaires de longues scènes d’exposition ou de dialogues inutiles. Conscient de l’influence de 2001, Gray prend en quelque sorte le contre-pied de Kubrick dans la façon dont il aborde la résolution du mystère au centre de son film . En dépit de ses questions existentielles, des tourments œdipiens qui le traverse et son atmosphère sombre James Gray avec Ad Astra ne tombe pas dans la facilité du nihilisme et donne à son film un message profondément humaniste et finalement optimiste. Comme on pouvait s’y attendre de la part de l’auteur de Two Lovers , Ad Astra est une odyssée introspective et intimiste au rythme mesuré , un film sobre qui ne s’abandonne pas à l’image de son héros à une émotion trop facile ni à un lyrisme trop opératique. Mais Gray, si on le sent plus intéressé par la déconstruction du psychisme de son héros et sa relation avec son père ne refuse pas pour autant la dimension spectaculaire de l’aventure , contrairement à son Lost City of Z. Au cours de son périple Roy traverse une série d’épreuves donnant lieu à des scènes d’action et de suspense rares dans son cinéma comme la vertigineuse séquence d’ouverture , une poursuite en buggy entre Pitt et des pirates lunaires (!) ou une fusillade zéro-g dans une capsule spatiale. Ad Astra s’offre même une des scènes les plus terrifiantes de l’année quand le vaisseau amenant Roy sur Mars répond à l’appel de détresse d’un vaisseau de recherche norvégien (c’est peut-être une coïncidence mais dans The Thing de John Carpenter c’est aussi d’une station que provient la menace).

Même si le film se déroule dans un futur lointain Gray, son production designer Kevin Thompson (Birdman) et son concepteur des costumes Albert Wolski ont choisi une approche rétro et minimaliste pour concevoir l’univers de Ad Astra. Le design des vaisseaux, des combinaisons spatiales et de la technologie sont très proches de ceux des missions Apollo ou Soyouz, il en va de même pour les costumes et uniformes ne dépareilleraient pas dans un film des années soixante. Ce choix d’une esthétique low-tech contribue à ne pas dater le film mais elle permet également de lui donner une aura de crédibilité scientifique alors qu’Ad Astra est un film de pure SF qui ne cherche pas à adhérer strictement aux lois de la physique. De même l’architecture de la colonie lunaire évoque l’architecture brutaliste du métro de Mexico renvoyant à des références très concrètes. La photographie immersive de Hoyte Van Hoytema (Dunkirk) qui retrouve l’espace après Interstellar , s’inspire des photographie Kodakchrome des missions Apollo pour produire des images à mi-chemin entre un espace fantasmé et la majesté de la réalité. La splendeur céleste de la partition de Max Richter contribue à la majesté de l’ensemble.

Parce que sa période de développement fut très longue on retrouve dans Ad Astra de nombreux éléments thématiques et esthétiques communs à des films de SF récents qui le font sans doute apparaître moins original qu’il aurait pu l’être si il était sorti plus tôt . La personnalité de Roy bâtie sur celle de Neil Armstrong évoque la caractérisation du protagoniste du First Man de Damien Chazelle, cette arche narrative d’une renaissance à travers l’épreuve de l’espace matérialisée par l’ extraction d’un module devenu matrice et ses voltiges en apesanteur dans le vide spatial évoquent le Gravity d’ Alfonso Cuaron , les tests psychologiques auquel se soumet de façon régulière Roy et l’atmosphère orangée de Mars rappelle Blade Runner 2019 sans compter la contribution de Hoyte Van Hoytema (et le choix d’une esthétique low-tech) qui le lie au Interstellar de Christopher Nolan. Fort heureusement Gray a assez de personnalité pour échapper à l’orbite de ses monuments et la performance de Brad Pitt présent quasiment dans tous les plans n’apparaît jamais comme dérivée d’une autre. Je ne sais pas si le type de jeu relativement peu « spectaculaire » de Pitt lui vaudra un jour la reconnaissance de l’académie des Oscars mais Ad Astra confirme si il en était besoin quelques mois après Once Upon A Time in Hollywood qu’il est, derrière son physique d’idole un des comédiens américains les plus talentueux de ces vingt dernières années. Son Roy enfermé dans sa douleur et sa difficulté à communiquer qu’il cache derrière des sourires et un professionnalisme mécaniques n’est jamais une caricature d’autiste , Pitt peint son portrait par petites touches , de l’intérieur. Il est à la fois un héros affable et un danger pour lui-même et les autres, apparemment sans malice mais plane autour de lui une forme d’ambiguïté. Tommy Lee Jones n’a pas été aussi bon depuis longtemps peut-être parce que la misanthropie de son personnage lui est naturelle. En tout cas son Clifford à la fois morose et terrifiant à la fois. L’immortel Donal Sutherland compose une figure de mentor dans le registre de l’ambiguïté qu’il maîtrise si bien. Ad Astra n’est pas absent de défaut , l’emploi d’une narration en voix-off par Pitt est parfois redondante et sape la subtilité de son jeu en surlignant ce qu’il exprime parfaitement sans paroles. Si les les séquences d’action sont brillamment mises en scène on y sent Gray moins investi qui dans les scènes qui traite de la déconstruction de la figure du héros qu’incarne Roy et de la relation père-fils. ses rencontres avec des personnages sous-jacents, tels que le chef de la base Mars Ruth de Ruth Negga et la petite amie Flashback de Liv Tyler. En dépit des ses réserves comme d’autres films avant lui (je pense à The Fly et 12 Monkeys) Ad Astra montre que la collaboration entre un studio et un auteur peut parvenir à un bel équilibre entre les attentes commerciale de l’un et les exigences artistiques de l’autre.

Conclusion : Si on en voit parfois les coutures et qu’il arrive après de nombreux films creusant le même sillon avec AdAstra Gray parvient à combiner ses nombreuses influences (Au cœur des Ténèbres, Solaris, Kubrick et Homère) en une odyssée spatiale intimiste qui sait être aussi spectaculaire porté par un Brad Pitt magistral

Ma Note : B+

Ad Astra de James Gray (sortie le 18 septembre 2019)

Un commentaire

  1. Belle critique. Le film n’est pas sans défaut c’est vrai, ce qui m’a gêné le plus ce sont les libertés prises avec la science. Néanmoins le film reste de haute volée, prolongement évident des territoires explorés dans « The lost city of Z ». Un film ample et cérébral, qu’il faut encourager à aller voir car ce nest pas si souvent qu’un tel artiste se voit offrir les moyens d’une telle ambition.

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