MATRIX RESURRECTIONS (Critique)

On était assez inquiet et circonspect face à ce quatrième volet de Matrix survenant dix-huit ans après la conclusion en apparence définitive (puisqu’elle voyait la mort de Neo et Trinity) de la saga avec Matrix Revolutions. Pas tant pour son effet sur l’héritage du film original, un des authentiques chefs d’œuvre du quart de siècle écoulé, qui a déjà résisté à la réception très contrastée de ses deux suites mais pour des raisons qui tiennent à la fois de l’évolution du cinéma des sœurs Wachowskis depuis Speed Racer qui s’est éloigné stylistiquement du cinéma de leur début mais aussi à la volonté affichée de Lana Wachowski , seule aux commandes, cette fois de se réapproprier l’héritage toxique de Matrix dont les thématiques de paranoïa, de croyance libertaire dans la primauté de l’individu et de colère contre le système avaient nourri une vision du monde réactionnaire (la métaphore de la pilule rouge étant même entrée dans le vocabulaire courant des mouvements d’extrême-droite US) et de faire du film une critique contre la nostalgie exploitée par l’industrie du divertissement. Si tout cela est en partie vrai et si en surface Matrix Resurrections semble être un film qui semble détester les conditions responsables de son existence même, loin d’être dans le rancœur ce nouveau film est un dernier tour de piste à la fois ludique, romantique et mélancolique dernier tour de piste dans la Matrice par sa co créatrice. J’étais ravi de constater que le scénario de Lana Wachowski et ses co-scenaristes David Mitchell (Cloud Atlas) et Aleksandar Hemon joue pleinement le jeu de la suite, loin d’ignorer les événements des deux suites (il est utile de revoir la trilogie pour saisir tous les clins d’œil et références) les intégrant à la narration et poursuit l’évolution de l’univers. Le gout pour la SF et les comics de Lana est intact et se ressent dans les nouveaux concepts et les personnages introduits ici en particulier une nouvelle version de de Morpheus qu’incarne Abdul Yaya Mateen (Candyman).

La première demi-heure de The Matrix Resurrections prend la forme du méta-commentaire le plus osé au sein d’une franchise établie depuis Freddy sort de la nuit le septième volet de la franchise Nightmare on Elm Street qui existe en dehors de la continuité de la série, dans un monde dans lequel Freddy Krueger est connu pour être un méchant de film emblématique. La plupart des acteurs, dont Heather Langenkamp et Robert Englund, jouant leurs propres rôles. Dans le méta-récit de Freddy sort de la nuit, c’est New Line Cinema qui ressuscite Freddy, malgré le fait que le personnage ait été tué dans le film précédent pour satisfaire les fans. Ici Thomas Anderson (Keanu Reeves) est réintroduit en tant que concepteur vedette d’une trilogie de jeux vidéo : The Matrix. Thomas est convoqué par son partenaire Smith (Jonathan Groff) – oui c’est bien le Smith que vous croyez et son évolution dans le film ne vous décevra pas) qui l’informe que la maison mère de leur société , Warner Bros (évidemment la major productrice des films) veut absolument faire un quatrième jeu Matrix et qu’elle le fera avec ou sans eux (on se souvient que dans la vraie vie la Warner avait commandé à Zak Penn (Ready Player One) un scénario pour un quatrième film qui aurait eu pour vedette selon la rumeur Michael B. Jordan). Il y a une forme de clins d’œil à faire de Jonathan Groff (Mindhunter) et Neil Patrick Harris deux stars homosexuelles connues pour leurs performance dans des comédies musicales les deux personnages les plus puissants du film. Ces deux antagonistes sont les vecteurs d’une forme de commentaire de Lana Wachowski sur la façon dont la franchise a été détournée. Matrix Resurrections poursuit dans la tradition des précédents film une critique du capitalisme
qu’elle adapte avec l’évolution des modes de contrôle , beaucoup plus soft et sournois qui peuvent s’incarner dans le regard soucieux de votre psychologue. Le film a un sous-texte assez hostile envers la psychiatrie ou a psychologie qu’il partage paradoxalement avec des sectes comme la scientologie et qui vient peut être du parcours de Lana W dans sa transition. La critique des fans, de l’industrie du divertissement qui recycle les mêmes œuvres à un public rétif à la nouveauté soulignée au marqueur – en particulier dans des scènes où des créateurs de jeux brainstorme sur ce qui fait le succès de la franchise – semble trop évidente presque adolescente en tout cas loin de la réflexion plus mature de l’original. Ces scènes fonctionnent moins que les moments les plus sincères où les personnages se reconnectent à leur passé ou leurs sentiments. En effet une fois que Lana Wachowski enlève les méta-couches de son film pour continuer le voyage de Neo de la trilogie originale, elle révèle ce qu’est vraiment le cœur de The Matrix l’histoire d’amour et le lien inébranlable entre Neo et Trinity. C’est la tension de les maintenir séparés mais toujours à portée de main dans le monde virtuel, qui alimente la nouvelle version de la matrice. Cette conviction sentimentale que le pouvoir de l’amour est plus fort que tout traverse l’œuvre des Wachowskis en particulier dans leur productions récentes comme Jupiter Ascending (ouch!) et Sense8 (aargh). Avoir placé cette relation au cœur du film est une belle idée ainsi que l’élévation de Trinity comme une héroïne au même niveau de pouvoir que celui de Néo est une évolution qui a du sens à la fois dans l’évolution de notre société et dans l’univers du film.

A mes yeux le principal défaut du film est de vouloir aller très loin dans le commentaire et la déconstruction des films originaux sans se hisser au même niveau d’excellence formel. La stylisation extrême de l’image qui était a marque de la trilogie est absente , la facture du film est presque télévisuelle , les absences de Bill Pope à la photographie, des costumes de Kym Barrett et des compositions de Don Davis se font cruellement sentir. La façon de filmer les combats est étrange , beaucoup de gros plans très peu des plans larges, la chorégraphie est sans imagination loin de celles de Yuen Woo Ping autre composant essentiel de qui faisait de Matrix Matrix . On aurait aimé que Chad Stahelski ancienne doublure de Reeves sur les films originaux devenu un fantastique réalisateur d’action (qui fait une apparition très drôle ici dans le rôle du mari de Tiffany / Trinity de fait une doublure de Neo) participe à l’élaboration de l’action. du film est télévisuelle. Si le Morpheus 2.0 est intéressant et offre des moments authentiquement drôle quand il parodie les dialogues et les attitudes de la version originale, l’absence de Lawrence Fishburne sa capacité de transformer de longs tunnel d’exposition en des moments grandioses se fait sentir ici. Si Carrie-Anne Moss apporte dignité et force à Trinity, Keanu Reeves le zen et la curiosité de Neo, la solennité et l’autorité naturelles de Fishburne manque. A l’exception de Mateen et de Jessica Hendwick (vue dans les séries Marvel de Netflix) les nouveaux venus dans la résistance (beaucoup interprété par le casting de Sense 8) sont moins mémorables que les originaux

Conclusion : Malgré sa volonté de reprendre possession de son œuvre et de la déconstruire Lana Wachowski joue pleinement le jeu de la legacyquel . La structure « meta » est très ludique même si la dénonciation de notre société du divertissement soulignée au marqueur semble adolescente en comparaison de la richesse de l’original. Matrix Resurrections est rythmé, drôle dans la continuité de l’univers. Si seulement sa facture (tele)visuelle avait été plus soignée on aurait eu là un grand film.

Ma Note : B+

 

 

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