
Columbia / Sony Pictures en dénouant l’imbroglio juridique autour des droits d’adaptation cinématographiques de Spider-Man au début des années 2000 pour produire le film de Sam Raimi est le studio qui a réalisé l’avènement du film de super-héros comme genre dominant du paysage cinématographique US. Après la conclusion de la trilogie de Raimi les années 2010 sont moins fastes pour le studio avec l’échec critique de son reboot de la franchise par Marc Webb qui se retrouva confronté à la concurrence des films Marvel Studios offrant un contre-modéle infiniment plus profitable. Au point qu’en 2014 la dirigeante du studio à l’époque Amy Pascal accepte la proposition de Kevin Feige de laisser Marvel Studios (propriété de Disney) produire des films Spider-man se déroulant dans son univers partagé, Sony conservant les droits , finançant, distribuant et assurant la promotion des films Marvel prenant en charge l’aspect créatif. Ce deal éminemment profitable pour le studio culmine avec le succès historique de Spider-Man No Way Home. Pour tirer des bénéfices exclusifs du succès des films issus de ce partenariat Sony tente en marge de celui-ci de bâtir un univers cinématographique partagé autour de l’exploitation du catalogue des personnages connexes à Spider-Man, vilains ou héros créés uniquement dans les comic-books Spider-man dont il a les droits cinématographiques. Comme en compensation le studio en confie les rênes de ce projet comme compensation aux producteurs des deux trilogies précédentes l’ancien dirigeant de Marvel Avi Arad (dont le rôle dans la résurrection de l’écurie de comics et son émergence comme titan du monde du cinéma est considérable) et Matt Tolmach ancien co-président de Sony avec Amy Pascal (qui produit désormais les Spider-man). Cette entreprise est bancale dés le départ car elle tente de surfer sur le succès de films dont elle ne peut utiliser le personnage principal pour ne pas les parasiter, personnage autour duquel gravite tous les protagonistes de cet univers bis. Le duo commence par adapter le plus populaire de tous le vilain Venom (privant au passage les films Marvel d’un des bad-guys majeurs du héros) et y trouve un succès considérable qui se confirme avec sa suite. Hélas les deux films sont des purges créatives. Ils tentent donc de reproduire la formule gagnante en associant un acteur prestigieux mais atypique l’oscarisé Jared Leto (Dallas Buyer’s Club, Blade Runner 2049) à un technicien solide ancien réalisateur prometteur qui n’a jamais confirmé les espoirs placés en lui ici le suédois Daniel Espinosa (Sécurité Rapprochée, Life) pour un film autour de Morbius un personnage apparu dans Amazing Spider-man #101, d’abord conçu comme adversaire de Spider-Man et du chasseur de vampires Blade, devenu au cours du temps un anti-héros tragique (avant bientôt Madame Web avec Dakota Johnson et Kraven le chasseur avec Aaron Taylor-Johnson). Pour quel résultat ?

Morbius nous ouvre la porte d’une timeline (le multivers est à la mode) où Kevin Feige, les films X-Men n’auraient jamais existés et les films tiré de comics Marvel restés cantonnés des série B médiocres se contentant d’exploiter des noms connus dans des films de genre classiques. Si contrairement à Venom l’origine de Morbius n’est pas directement lié à Spider-Man est peut donc être évoquée sans faire référence au tisseur de toile en revanche sa popularité en dehors d’un bref moment dans les années quatre-vingt dix ne lui a pas permis d’entretenir assez longtemps une série régulière et donc une mythologie propre assez riche là ou le symbiote enchaine les séries avec un succès toujours renouvelé. Michael Morbius (Jared Leto) est donc médecin génial atteint d’une rare maladie sanguine dégénérative qui en mélangeant son ADN à celui de chauve-souris retrouve ses facultés mais se transforme en une créature surhumaine assoiffée de sang dont il contrôle les pulsions grâce à la consommation d’un sang synthétique de son invention. Mais quand des corps exsangues sont retrouvé dans son entourage, il est bientôt soupçonné par un duo de détectives Simon Stroud (Tyrese Gibson) et Alberto Rodriguez (Al Madrigal) de ces meurtres. A t’il perdu le contrôle ou bien une autre créature est impliquée ? Et si vous pensez que son ami d’enfance décadent atteint de la même maladie incarné par l’ancien Doctor Who Matt Smith et seul autre personnage du film – en dehors de la partenaire de recherche de Morbius Martine Bancroft (Adria Arjona) et de son mentor (Jared Harris) – est le vrai méchant, bravo ! Plus encore que la saga Spider-Man si cette histoire de savant victime de ses expériences, accusé à tort de crimes dont il est innocent tout en essayant de contenir la bête qui sommeille en lui a un lien avec une adaptation Marvel c’est bien avec la série télévisée L’Incroyable Hulk de 1977 avec Bill Bixby et Lou Ferrigno dont elle parodie même en version originale la réplique la plus célèbre. Le scénario signé Matt Sazama et Burk Sharpless n’est pas en soi catastrophique mais si stéréotypé réutilisant des intrigues et des figures usées jusqu’à la corde , vues et revues mille-fois que son déroulé prévisible fini par engendrer la torpeur chez le spectateur. Pas vraiment surprenant de la part des auteurs des scripts de Power Rangers , Dracula Untold ou du Dernier Chasseur de Sorciéres tous victimes des même stigmates de « déjà vu ailleurs en mieux » .

Daniel Espinosa réalisateur suédois repéré par Hollywood pour son polar Snabba cash (qui révéla aussi Joel Kinnaman) abonné aux séries B de genre est un technicien efficace comme le montre son « son training-day à la CIA » Sécurité Rapprochée avec Denzel Washington et Ryan Reynolds où il reproduit le style de Tony Scott ou son implacable Life – Origine Inconnue mélange d’Alien et Gravity que nous vous recommandons. Si sa mise en scène est compétente et son association avec le solide directeur de la photographie Oliver Wood (Die Hard 2)offre une vraie touche aux séquences d’action, il peine à donner au film noyé dans des teintes vert d’eau autre chose que la facture d’un DTV bien doté ou d’une série Netflix. Les effets visuels sont de niveau moyen mais correct mais leur grammaire se limite à deux effets l’émergence de la créature dans les traits de Morbius ou du vilain et leurs déplacements ultra rapides dans des sillons de fumée qui s’interrompent dans des ralentis extrêmes « matrixiens » pour souligner des poses dynamiques dont la répétition émousse l’efficacité. On a du mal à croire ses yeux quand apparait au générique le nom de Pietro Scalia collaborateur régulier de Ridley Scott et légende du montage (JFK, Gladiator) si le rythme est plutôt soutenu c’est plus par l’aspect mécanique de son intrigue que par un montage cohérent. On sent un film trituré en post production par un studio qui n’avait aucune idée de ce qu’il voulait en faire – même si cela ne veut pas dire que nous ayons été privé du Scalia-cut d’un film brillant.

Ce qui sauvait (un peu n’exagérons rien) et en tout cas distinguait le premier film Venom était l’interprétation complètement azimutée à la Peter Sellers d’un Tom Hardy qui semblait jouer dans une comédie. Ici Jared Leto pourtant lui-aussi friand de performances baroques, comme l’atteste son tour de force en Paolo Gucci dans le récent House of Gucci livre une performance compétente mais sans aspérités qui ne permet pas au film de se démarquer. Dans la grande tradition des Comic Book Movies depuis le premier Superman dans le rôle du méchant Matt Smith est le seul acteur qui semble vraiment s’amuser, sans doute conscient de l’absurdité de l’entreprise et compose un bad-guy décadent exubérant à qui il parvient même à donner un peu de pathos. On se demande ce qui pousse un comédien aussi brillant comme Jared Harris (la mini-série Chernobyl) d’accepter un rôle de mentor sous écrit en dehors évidemment d’un (on l’espère) généreux virement sur son compte en banque. L’actrice d’origine portoricaine Adria Arjona vue dans 6 Underground (qui semble être le plan B des producteurs si Eiza Rodriguez est prise) n’a guère plus à jouer dans le rôle de l’assistante – petite amie du héros. Dans le rôle du detective Tyrese « Fast and Furious » Gibson semble avoir été victime d’un AVC ou atteint de somnambulisme tant il est atone. Les deux scènes post-génériques de Morbius n’ont aucun sens et ne répondent à aucune logique narrative seule logique celle sans aucune vergogne de Arad et Tolmach qui à l’image de ce qui a été fait pour la scène post-générique de Venom 2 font miroiter des éléments des films du MCU pour laisser croire que leur univers partagé « marque distributeur » est indispensable à la compréhension de la saga de Spider-man version Tom Holland. D’où la présence d’un acteur pour le coup vraiment « multiversel » venant crânement toucher un cheque juste pour être là.